Projet MURPHY : Plein phares sur le plancton

Publié le
Plancton prélevé depuis la Thalassa (lors de la mission AWA au large du Sénégal)

Plancton prélevé depuis la Thalassa (lors de la mission AWA au large du Sénégal).

Avec le plancton, on est dans le domaine de l’infiniment petit, un royaume de micro-organismes que leur taille rend difficiles à observer. Le projet Murphy a l’ambition de lever un coin du voile sur cet univers encore largement mystérieux. Objectif : mieux connaître la structure de la chaîne trophique pour répondre à la fameuse question « qui mange qui ? » et évaluer comment cette petite communauté réagit aux changements climatiques et anthropiques. Le projet est soutenu par la Direction Scientifique de l'Ifremer dans le cadre de l’appel à projets politique de site lancé en 2019.

Du plancton, on pourrait dire à bien des égards qu’il s’agit d’une « boîte noire » qui reste encore largement à explorer. « Avec le projet Murphy, notre ambition est d’éclairer cette boîte noire », explique Carolina Giraldo, chercheure au Laboratoire Ressources Halieutiques de Boulogne, spécialisée en ichtyoplancton (œufs et larves de poissons) et porteuse du projet avec ses collègues Ifremer Christophe Loots et Elvire Antajan. Pour peaufiner cette cartographie du monde planctonique en Manche-Mer du Nord, ils se sont également associés à l’expertise de l’UMR LOG, spécialisée dans la dynamique phyto et zooplanctonique et rattachée à l’Université de Lille / Université du Littoral Côte d’Opale.

Plancton : les maillons de la chaîne alimentaire

« Pour savoir ce que mangent les gros poissons, il suffit de détailler le contenu de leur estomac. Établir la chaîne trophique au sein de la population planctonique s’avère un peu plus compliqué puisqu’on travaille sur une échelle qui va du nanoplancton (< 20µm) au necton (~cm) et incluant ainsi les larves des poissons des principales espèces exploitées en Manche-Mer du Nord. Autre difficulté : Il faut filtrer beaucoup d’eau, puis trier ces petits organismes à l'espèce, c’est très chronophage ».

Afin d’effectuer le recensement de ces communautés planctoniques (ou biocénoses) et d’évaluer l’état de cette biodiversité, les scientifiques du projet Murphy sont allés pêcher leurs échantillons lors des différentes campagnes Ifremer menées sur zone (IBTS, CGFS, IGA, REIVE) en multipliant les prélèvements en fonction des saisons pour brosser un état de référence de cette biodiversité.

Une enquête au long cours

L’enquête a ensuite pu démarrer avec des méthodes digne de la police scientifique, tout d'abord des observations binoculaires puis des analyses d'image grâce au ZooScan (un scanner de l'eau !) et au logiciel d’imagerie Ecotaxa, ainsi qu'à la chimie par l’analyse de biotraceurs : les isotopes stables. « Ces isotopes comme le carbone ou l’azote nous permettent notamment d’identifier l’origine de l’énergie des différentes communautés planctoniques. On peut savoir si cette énergie vient par exemple d’apports terrestres déversés dans une rivière, etc. On peut déterminer également quelle est la position de chaque organisme dans la chaîne trophique, s’il s’agit de producteurs primaires (algues), de carnivores de 2ème ou 3ème niveau. On retrouve ainsi un niveau plus important d’azote chez les carnivores ».

Ces différentes espèces seront ensuite regroupées par grandes fonctions dans l’écosystème. « Plusieurs espèces peuvent avoir la même fonction, explique Carolina. Il peut d’agir de filtreurs, de détritivores… ».

Un capital de données impressionnant

Les informations acquises durant le projet seront recensées dans une base de données. « Nous avons déjà traité presque 1000 entrées, ce qui est considérable s’agissant du plancton rarement étudié sous cet angle dans les publications », se réjouit Carolina Giraldo.

En décryptant les mécanismes de la chaîne planctonique, l’objectif final du projet est de mieux comprendre la réaction de cette communauté aux changements climatiques mais aussi à l’impact des activités humaines (pollution, pêche…). « L’enjeu n’est pas anodin quand on sait qu’environ 50% de la population mondiale vit dans les zones côtières et dépend fortement de l’océan pour se nourrir, travailler (activités de pêche) ou se divertir (problématique qualité des eaux de baignade, etc.), rappelle Carolina, et que justement les écosystèmes côtiers sont parmi les plus sensibles aux pressions anthropiques…».