Pollution & contamination

Comprendre la prolifération d’algues, de la côte au large

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La microalgue Lepidodinium chlorophylium provoque une coloration verte de l'eau en baie de Vilaine

Les scientifiques de l’Ifremer effectuent régulièrement des prélèvements pour surveiller la présence de microalgues, comme ici Lepidodinium chlorophylium qui provoque une coloration verte en baie de Vilaine.

Les épisodes de prolifération d’algues, ou eutrophisation, sont de moins en moins nombreux le long des côtes de l’hexagone : plus de 98% de la zone économique française métropolitaine est aujourd’hui considérée en bon état vis-à-vis de cette pression. Cependant le problème n’est pas résolu et les scientifiques ne relâchent pas leurs efforts, à l’échelle locale et internationale, pour surveiller, comprendre et anticiper ces phénomènes.

Le phytoplancton est essentiel à la vie en mer et sur terre, car il constitue la base de la chaîne alimentaire de l’océan et a produit au cours des temps géologique une part importante de l’oxygène que nous respirons aujourd’hui. Pourtant une prolifération anormale de ces organismes peut également avoir des impacts négatifs sur la santé des écosystèmes marins : surconsommation de l’oxygène qui cause des asphyxies chez les organismes environnants, développement de microalgues toxiques ou encore prolifération d’algues opportunistes.

L’accumulation de nutriments tels que les phosphores et l’azote (ammonium), due aux activités humaines (agriculture, transports, production d'énergie à partir de sources non renouvelables, etc.), joue un rôle important dans le développement d’algues. On parle alors d’eutrophisation. Suite aux mesures adoptées dans les années 1980 pour diminuer l’usage des phosphates dans l’industrie agricole et améliorer les normes de traitement des eaux usées, on observe une réduction des apports en nutriments dans le milieu marin, suivie dès les années 2000 par une diminution de l’abondance de microalgues. De manière plus visible, les efflorescences de microalgues sont de moins en moins nombreuses, en particulier dans la Manche et le nord du golfe de Gascogne.

Les efforts peuvent être ralentis par la dynamique des fleuves

Des problèmes d’eutrophisation demeurent toutefois dans les zones plus côtières. Entre les embouchures de la Seine et de la Somme par exemple, 28% de la façade Manche - Mer du Nord n’atteint pas les critères de bon état écologique. D’autres points de vigilance demeurent également, comme les efflorescences de microalgues dans les estuaires de la Loire et de la Vilaine ou les échouages d’algues vertes dans plusieurs baies du nord de la Bretagne.

Avec le temps, le phosphore et l’ammonium peuvent s’accumuler dans les sédiments des fleuves et des estuaires. Plus tard, ces nutriments piégés dans les sédiments peuvent être lentement relargués dans le milieu marin, en fonction du débit des cours d’eau ou d’actions extérieures. 

David Devreker
Chercheur en écologie marine à l’Ifremer

Malgré l’efficacité des mesures, il faut dans certains cas plusieurs années avant que les nutriments ne soient éliminés du réseau hydrographique. Pour mieux prendre en compte les dynamiques des cours d’eau et les échanges de sédiments dans le cadre du continuum terre-mer, l’Ifremer développe depuis de nombreuses années des systèmes automatisés de mesure à haute fréquence pour suivre les paramètres physico-chimiques (température, oxygène, salinité, etc.) et biologiques. Ils complètent les suivis des microalgues des réseaux nationaux et régionaux en zone côtière.

Carte "l'eutrophisation de la côte au large"

L’eutrophisation ne s’explique pas uniquement par des facteurs anthropiques. La luminosité et la température impactent le développement des microalgues, les précipitations affectent les flux de nutriments apportés depuis le milieu terrestre, et les courants océaniques favorisent le brassage des masses d’eau et la dispersion des nutriments. Les conditions météorologiques ont donc un effet important sur la prolifération de microalgues, et la prise en compte du dérèglement climatique constitue un enjeu majeur pour mieux prévoir l’évolution des phénomènes d’eutrophisation.

Anticiper les risques d’eutrophisation en harmonisant sa surveillance

Des épisodes d’eutrophisation peuvent également se manifester à la limite des eaux françaises, comme c’est notamment le cas en mer du Nord, où l’on assiste au développement de microalgues au large. Pour mieux comprendre et anticiper ces phénomènes, les pays de l’Atlantique du Nord-Est ont mis en place en 2022 un protocole harmonisé de collecte et de partage de données de concentrations en nutriments et en microalgues. Grâce à ces données, à la connaissance des courants océaniques et des relevés de température et de luminosité, les scientifiques sont en mesure d’identifier les zones à risques d’eutrophisation.

Comment surveille-t-on l’eutrophisation au quotidien ?

Depuis 1987, les équipes de l’Ifremer effectuent dans le cadre du réseau REPHY-REPHYTOX des prélèvements réguliers pour mesurer par exemple les concentrations de microalgues, de nutriments et d’oxygène sur le littoral métropolitain. Ces observations sont complétées par des suivis satellites des microalgues, basés sur la couleur de l’eau. Au large, les campagnes annuelles d’évaluation des populations de poissons peuvent également être l’occasion de prélèvements similaires à ceux effectués à la côte. Ces analyses viennent alors s’ajouter ponctuellement au suivi continu de la quantité de microalgues assuré par des observations satellite et aux données des modèles.

Depuis 2003, la surveillance des macroalgues dans le milieu marin côtier est assurée par le réseau de surveillance benthique (REBENT-DCE), piloté par l’Ifremer. En Bretagne et en Normandie, il est complété par un suivi des échouages d’algues vertes assuré par le Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA).