Pêche & aquaculture

Des populations de poissons perturbées par le changement climatique

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Blanchiment de corail sous l'eau

Blanchiment de corail sous l'eau.

Modification de la répartition des espèces, diminution de l’alimentation et de la croissance des individus : le changement climatique a un impact sur les poissons et sur la pêche. Réduire nos rejets de gaz à effet de serre est une nécessité pour préserver la biodiversité marine.

Quels que soient nos efforts pour réduire nos rejets de gaz à effet de serre, les conséquences du changement climatique sont d’ores et déjà enclenchées jusque dans les années 2040-2050. Au-delà, tout dépendra des scénarios d’évolution du climat, c'est-à-dire des mesures de réduction d’aujourd’hui. 

Car les activités humaines sont responsables de 90 % des rejets de CO2 dans l’atmosphère. L’océan absorbe chaque année entre 30 et 40 % des rejets de CO2, avec pour conséquences une acidification observée de 0,1 unité de pH et une augmentation de température de 1°C depuis l’ère industrielle. Cet excès de CO2 dans l’eau de mer provoque également une diminution de la concentration en carbonate de calcium. Or, c’est à partir de cet élément chimique que le plancton, les coraux, les mollusques (huîtres, moules...) et beaucoup d’autres organismes marins dits « calcifiants » construisent leur coquille ou leur squelette interne.

L’augmentation de la température de l’eau conduit à un brassage plus limité entre les couches supérieures et les couches plus profondes de l’océan, cela conduit à une baisse d’abondance du plancton, premier maillon de la chaîne alimentaire marine, et une moindre réoxygénation de l’eau par l’atmosphère. En conséquence, moins de nourriture et moins d’oxygène pour les poissons. Or ce sont des organismes à sang froid : face aux hausses de température et à des vagues de chaleur toujours plus fréquentes, plus intenses et plus longues, les poissons se voient contraints d’accélérer leur métabolisme de base, ce qui nécessite justement plus de nourriture et d’oxygène. 

Baisse de taille de 15 cm à 11 cm pour les sardines en Méditerranée

Des études récentes de l’Ifremer ont permis de montrer que la période de ponte chez certaines espèces est modifiée à cause du changement de température et de l’acidification. Des pontes plus précoces ont notamment été observées chez la sole. Ce qui décale le développement des larves par rapport aux efflorescences de plancton dont elles se nourrissent. Des travaux de recherche menés notamment sur le bar à l’Ifremer suggèrent que l’acidification pourrait de plus contribuer à une augmentation du nombre d’œufs produits mais de moindre qualité et à une altération du comportement reproducteur chez les mâles. 

La croissance des poissons apparaît également affectée du fait d’une nourriture moins riche et d’une chaîne alimentaire globalement moins efficace. Plusieurs études font état de changements majeurs dans l’abondance des différentes espèces de plancton, avec une tendance à la régression des espèces les plus grandes, souvent les plus nourrissantes. Chez les petits pélagiques (sardines, anchois), les données montrent une diminution de la taille et du poids à l’âge adulte sur les côtes françaises de la Méditerranée : la taille des sardines est passée de 15 à 11 cm en moyenne, leur poids de 30 g à 10 g, et les individus de plus de deux ans ont disparu. Le phénomène est également observé en mer du nord sur d’autres espèces (hareng et sprat), avec des effets jusqu’aux gros poissons prédateurs placés au sommet de la pyramide alimentaire.

Sardine mesurée avec une règle

En Méditerranée, la taille des sardines est passée de 15 cm à 11 cm en moyenne en dix ans.

20 % d’animaux marins en moins d’ici la fin du siècle ?

Les scientifiques ont pu évaluer sur le long terme l’impact du changement climatique sur la faune marine via des outils de modélisation. De plus en plus précis, ces modèles tablent tous sur une baisse d’abondance significative des animaux marins (voir l’article publié dans Nature Climate Change).  Didier Gascuel, chercheur et professeur à l’Institut Agro, a participé à ce travail avec le modèle Eco Troph qui simule l’abondance des prédateurs et des proies. « Dans le scenario du pire, sans réduction des rejets de gaz à effet de serre, nos résultats montrent qu’en moyenne la baisse des animaux marins pourrait atteindre - 20 % à la fin du siècle, voire - 30 à - 40 % dans certaines zones. Ces évolutions incontrôlées pourraient pousser tout le système à la surpêche et nous entraîner vers une mer appauvrie, en particulier de ses plus gros poissons »

Changement climatique et ressources marines d'ici 2100 - Selon le scénario du GIEC sans baisse de rejet de CO2

Changement climatique et ressources marines d'ici 2100 - Selon le scénario du GIEC sans baisse de rejet de CO2.

Le merlu et le maquereau retrouvés aujourd’hui jusqu’en Islande

Pour les pêcheurs européens, cela signifiera une baisse globale des captures et un changement de la nature des prises. Face au changement des conditions environnementales, certaines zones deviennent progressivement invivables pour les poissons. Au contraire, de nouvelles zones, plus au nord ou plus profondes, peuvent progressivement devenir plus favorables. Le mouvement est déjà à l’œuvre, avec un déplacement des aires de répartition vers le Nord. En réalité, les poissons ne se déplacent pas individuellement, mais les populations locales d’une espèce déclinent au sud alors que celles du nord se développent. La « tropicalisation » des communautés de poissons se traduit ainsi dans le Sud par une augmentation des espèces préférant les eaux chaudes et une diminution des espèces appréciant les eaux froides. Ce phénomène a déjà été décrit en baie de Somme, en Manche, en mer Celtique et en mer du Nord. Certaines espèces changent aussi leur mode d’habitat comme la plie en mer du Nord, qui reste présente mais vit dans des eaux plus profondes.

Toute la carte de répartition traditionnelle des populations de poissons se trouve modifiée. Le cabillaud voit sa zone d’extension géographique se réduire avec une diminution d’abondance dans ses habitats les plus au sud, d’autres espèces au contraire gagnent du terrain comme le merlu ou le maquereau qu’on trouve désormais couramment autour de l’Islande et en mer de Norvège. Mais au final, le bilan global est négatif et une baisse d’abondance est bien à craindre.

Ces baisses d’abondance peuvent être compensées, au moins pour partie, par une gestion des pêcheries plus précautionneuses. Adaptation et gestion durable seront nécessaires  pour la filière pêche en Europe et dans le monde dans ce contexte.