La crevette des abysses prend la lumière dans 3 articles scientifiques !

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Rimicaris exoculata (adultes vers le bas et juvéniles, caractérisés par leur couleur rouge vif, sur le haut de la cheminée) prises en photo sur le mont hydrothermal de TAG, sur la dorsale médio-atlantique, durant la campagne Bicose 2

Rimicaris exoculata (adultes vers le bas et juvéniles, caractérisés par leur couleur rouge vif, sur le haut de la cheminée) prises en photo sur le mont hydrothermal de TAG, sur la dorsale médio-atlantique, durant la campagne Bicose 2.

Habituée à vivre dans l’ombre, au plus profond des océans, là où même les rayons du soleil ne peuvent se frayer un chemin, Rimicaris la crevette des abysses se fait une place en pleine lumière dans deux articles scientifiques publiés par les équipes des Laboratoires Microbiologie des Environnements Extrêmes et Environnement Profond de l’Ifremer et dans les colonnes du média scientifique en ligne The Conversation. Ce coup de projecteur est issu des campagnes océanographiques BICOSE 1, HERMINE et BICOSE 2 menées en 2014, 2017 et 2018 sur la ride médio-Atlantique. Leurs résultats permettent aux scientifiques de lever un coin du mystère sur les stades juvéniles de cette crevette emblématique des grand fonds. Ils décryptent aussi ses relations de symbiose avec des bactéries amies, largement orchestrées par un peptide antimicrobien, la crustine, dont les chercheurs viennent de découvrir un nouveau type, spécifique à ces crustacés des abysses.

Points clés à retenir, la crevette des grands fonds livre une nouvelle part de ses mystères

  1. Le couple symbiotique entre la crevette et ses bactéries amies est scellé par un peptide anti-microbien : la crustine
  2. La carte d’identité des stades juvéniles des espèces Rimicaris Exoculata et Rimicaris Chacei est complétée

Découverte d’une nouvelle crustine, indispensable à la vie en bonne symbiose de la crevette

La plupart des êtres vivants vivent en symbiose avec des bactéries amies ou « symbiontes » et en retirent des bénéfices mutuels. Les crevettes des grands fonds ne font pas exception à la règle. Ces crustacés prolifèrent au niveau du plancher océanique sur les cheminées hydrothermales de la ride médio-Atlantique avec une densité de population qui peut atteindre 2500 crevettes au m2.

Une abondance qui peut étonner dans un environnement a priori cauchemardesque pour la vie, composé de gaz biologiquement toxiques et de métaux lourds ! Sans oublier les conditions de fortes pressions et l’impossibilité de toute photosynthèse à plus de 1000 mètres de fond…

Une solide alliance avec des bactéries amies

Les principales alliées de la crevette Rimicaris pour survivre dans ce terrain hostile sont les bactéries qu’elle héberge dans sa cavité céphalothoracique et qui lui donnent à l’âge adulte sa grosse tête caractéristique. Dans un univers sans lumière régi par la chimiosynthèse, ces bactéries « amies » constituent le premier maillon de la chaîne alimentaire pour les crevettes. Les solides liens tissés par ce couple symbiotique sont fondés sur un échange de bons procédés : Rimicaris permet aux bactéries symbiontes d’accéder aux substances minérales des fluides hydrothermaux et les protège sous sa carapace. Quant aux bactéries, en oxydant les substances chimiques émises par les fluides, elles synthétisent de la matière organique, consommée ensuite par la crevette. En clair : elles se nourrissent l’une l’autre.

Découvrez la crevette des abysses Rimicaris exoculata à 3600m de profondeur ! #BICOSE2

La crustine, un rôle clé dans la symbiose ?

Autre résultat documenté dans cette étude : la découverte d’un nouveau type de crustine formellement identifié sur la crevette Rimicaris Exoculata« On connaissait l’implication de différents types de crustines dans le système immunitaire des crustacés mais c’est la première fois que sa présence est attestée en environnement profond » révèle Marie-Anne Cambon, chercheure en micro biologie à l’Ifremer et co-référente scientifique de l’étude. L’équipe de recherche l’a d’ailleurs baptisée du nom de RE-Crustine, en référence aux initiales de Rimicaris Exoculata, son modèle d’études de prédilection.

En scrutant la vie symbiotique de Rimicaris Exoculata, nous étions frappés de voir que les bactéries étaient bien « rangées », toujours localisées dans les mêmes parties du corps de la crevette, ce qui laissait supposer une forme de contrôle de cette population par la crevette.

Marie-Anne Cambon
Chercheuse en micro biologie
Ifremer

Marie-Anne Cambon : « En scrutant la vie symbiotique de Rimicaris Exoculata, nous étions frappés de voir que les bactéries étaient bien « rangées », toujours localisées dans les mêmes parties du corps de la crevette, la zone céphalothoracique et les intestins, ce qui laissait supposer une forme de contrôle de cette population par la crevette. Dans toutes ces zones et aux phases clés du développement du crustacé, nous avons détecté de la crustine et avons formulé l’hypothèse que cette molécule aux propriétés antibactériennes joue bien son rôle  « d’antibiotiques » pour éliminer les éléments pathogènes mais semble aussi attirer et favoriser le développement des bactéries « amies », un peu à l’instar de l’action des phéromones sur les abeilles ».

Avec cette étude, une porte s’ouvre sur une meilleure compréhension de l’acquisition de la symbiose en environnement profond, qui distille les conditions d’une vie abondante dans les abysses.

Les chercheurs complètent la « carte d’identité » des juvéniles de la crevette Rimicaris

Découverte en 1986 seulement, la crevette des grands fonds Rimicaris est encore nimbée de bien des mystères. Des pans entiers de son cycle de vie échappent encore à la compréhension des scientifiques mais petit à petit les chercheurs des laboratoires Microbiologie des Environnements Extrêmes et Environnement Profond de l’Ifremer complètent les pièces du puzzle. Dans un article récemment publié dans le journal Royal Society Open Science, ils rapportent des avancées majeures dans la connaissance des juvéniles de ces crevettes des extrêmes.

Deux espèces au lieu d’une

Le cycle de reproduction de Rimicaris est resté longtemps un point d’interrogation et conserve encore bien des mystères mais l’étude qui vient d’être publiée par l’Ifremer dans le journal Royal Society Open Science fait encore avancer les frontières de la connaissance sur les stades précoces de vie de ces crustacés des grands fonds. Avec l’aide de la génétique, cette étude lève notamment la confusion qui était faite jusqu’à présent entre les juvéniles de deux espèces différentes Rimicaris exoculata et Rimicaris chacei. Les juvéniles de chacune de ces deux espèces présentent leurs caractéristiques propres, révélant une histoire de vie distincte avec des impacts sur la démographie et la résilience de chaque espèce.

Un régime alimentaire étonnant

Autre enseignement majeur de cette étude, l’Ifremer a mis en évidence que les juvéniles de ces deux espèces avaient au début de leur vie une nourriture de type photosynthétique. Ce qui laisse supposer que les juvéniles parviennent à capter pour se nourrir la « neige photosynthétique », ces débris de matières organiques qui tombent en flocons dans les grands fonds.

Lorsqu’ils amorcent un retour sur les cheminées hydrothermales qui les ont vus naître, ces juvéniles opèrent alors un changement de régime alimentaire, ce que les scientifiques appellent un « shift nutritionnel ». Ce changement est drastique pour l’espèce Rimicaris exoculata, qui bascule vers une alimentation exclusivement d’origine chimiosynthétique, un univers où l’énergie provient, non plus de la photosynthèse, mais de la transformation en matière organique de composés chimiques sous l’action de bactéries. L’étude démontre que Rimicaris chacei continue d’afficher sa différence avec un régime alimentaire qui reste mixte.

Dans leur remontée du fil de la vie de Rimicaris, les scientifiques percent petit à petit les secrets d’enfance de cette fascinante crevette de l’extrême mais les facteurs clés de sa croissance notamment au stade larvaire sont encore des énigmes à résoudre.