Pêche & aquaculture

Quelles pistes pour concilier pêche de fond et préservation des écosystèmes ?

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Essai de panneaux décollés de chalut de fond au bassin de la station Ifremer de Lorient dans le cadre du projet Reverse

Essai de panneaux décollés de chalut de fond au bassin de la station Ifremer de Lorient dans le cadre du projet Reverse.

En 2021, 36 % des volumes de poissons débarqués en France provenait de la pêche au chalut de fond, à la senne démersale ou encore à la drague. L’utilisation quotidienne de ces engins traînants participe fortement à l’approvisionnement en poissons de nos sociétés européennes, y compris dans les régions éloignées du littoral. Pour réduire leurs impacts sur les fonds marins tout en maintenant notre niveau d’approvisionnement local, il n’existe pas de solution miracle mais des leviers d’actions : diminuer la pression de pêche dans certaines zones ou de manière globale, et pêcher mieux en améliorant les engins pour limiter leurs impacts sur le fond.

Modifier les engins de pêche

Un premier levier consiste à modifier les engins de pêche traînants pour limiter leurs impacts sur les fonds marins. Ces changements ne doivent néanmoins pas réduire leur efficacité de pêche sans quoi les professionnels risqueraient de ne pas vouloir les utiliser, ou alors de compenser en pêchant plus longtemps et plus intensément. Plusieurs projets portant sur des adaptations des engins ou sur des nouveaux engins, ou parties d’engins, sont développés au laboratoire de technologie et biologie halieutique de l’Ifremer.

« Avec la société Morgère et le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, nous avons mis au point des panneaux de chalut décollés qui évoluent quelques mètres au-dessus du fond, illustre Benoît Vincent, ingénieur en technologie des pêches à l’Ifremer et porteur de ce projet baptisé Reverse. Les essais réalisés en mer entre 2019 et 2021 montrent que l’impact de ces nouveaux panneaux sur le fond est quasi nul, tout comme leur taux d’usure. Les économies de carburant ont été estimées à 10 % en gréement simple et à 5 % en gréement de chaluts jumeaux ».

Tests de panneaux de chalut optimisés au bassin d’essais de l’Ifremer Lorient.

L’Ifremer a également participé, en partenariat avec les sociétés Octech et Seagnal, le CRPMEM Bretagne et la Coopération Maritime, à la création d’un système d’aide à la décision qui permet d’informer en temps réel l’équipage sur le taux de frottement des panneaux de chalut sur les fonds. L’équipage peut ainsi décider de le réduire en modifiant la longueur des câbles de remorquage ou la vitesse du bateau. Les premiers tests ont confirmé que la réduction des frottements des panneaux sur le fond permet bien de diminuer la quantité de sédiment remis en suspension et la puissance nécessaire pour traîner l’engin.

Dans un autre registre, le chalut « intelligent » en cours de développement à travers le projet « Game of trawls » devrait permettre de limiter ses impacts sur le fond. Grâce aux caméras qui filmeront les poissons à l’avant du chalut, le pêcheur sera en mesure de décider de descendre l’engin sur le fond si les espèces qu’il cible sont présentes. L’engin sera ainsi mis en contact avec le fond sur des temps plus courts.

#UneMinuteDeScienceAvec... Julien Simon

Des nasses à poissons sélectives ont également été mises au point dans le cadre du projet Baitfish. Ces pièges passifs ont l’avantage de ne pas affecter les fonds et pourraient être utilisés pour diversifier les activités de pêche. 

S’emparer de ces solutions entraîne des surcoûts immédiats parfois conséquents pour les professionnels de la pêche. Certaines exigent en effet d’adapter leurs navires, leurs outils et leur manière de travailler, autant de contraintes qui freinent leur déploiement général en mer.

Gérer l’effort de pêche de fond autrement

Aujourd’hui, les règles de gestion des ressources vivantes marines adoptées dans le cadre de la Politique commune des pêches visent une exploitation des populations au rendement maximum durable. Elles conduisent ainsi à réduire directement ou indirectement l’intensité globale des activités de pêche, et donc par là même l’intensité de la pression sur les fonds. Mais elles ne régulent que très peu l’accès aux zones exploitées.

Dans la zone côtière, le chalutage est interdit dans la bande des 3 milles marins (environ 6 km de large) mais il existe de nombreuses dérogations saisonnières locales pour certains métiers et le dragage de coquillages y est généralement autorisé. Certaines mesures interdisent également la pêche de fond depuis 2010 au-delà de 1000 mètres en Méditerranée, et au-delà de 800 mètres dans les eaux européennes de l’Atlantique depuis 2016. Récemment en octobre 2022, cette limite a été relevée à 400 m dans 87 zones dites « sensibles » (zones à coraux, fonds à éponges) de l’Atlantique nord-est. Ces zones d’interdiction pourraient encore s’étendre aux aires marines protégées (AMP) d’ici 2030 : 10 % des aires bénéficiant d’une protection stricte seraient alors susceptibles d’être fermées à la pêche aux arts traînants sur le fond.

« Il pourrait être intéressant que les aires marines sous protection forte couvrent des zones représentatives de la diversité des habitats marins des eaux françaises, depuis les « hotspots » très riches à des habitats plus communs mais essentiels par exemple à la vie des espèces exploitées (frayères, nourriceries...), sous la forme d’un réseau cohérent et connecté pour favoriser la résilience des espèces dans le contexte de dérèglement climatique et d’érosion de la biodiversité », souligne Pascal Laffargue.

Réussir à concilier pêche de fond et préservation des écosystèmes implique d’adapter l’effort de la pêche de fond aux caractéristiques des habitats et des espèces benthiques.

Si l’objectif est de restaurer et de conserver les habitats les plus sensibles et les espèces les plus fragiles, par exemple, celles qui ont un cycle de vie long comme les coraux d’eau froide, seule une interdiction pérenne de la pêche aux engins traînants pourra être efficace. 

Pour les habitats moins sensibles, l’enjeu est plus complexe :  il dépend non seulement des niveaux d’impacts et de risques pour les écosystèmes que l’on considère comme acceptables, mais aussi des conséquences pour la pêcherie et l’approvisionnement en poissons. Plusieurs leviers sont envisageables :  

  • réduire la pression de pêche au niveau du rendement maximum durable, selon l’objectif européen. Cela permettrait de réduire également la pression globale sur les fonds marins, comme l’a montré une étude mondiale de 2022 ;
  • modifier les engins de pêche, comme évoqué ci-dessus, pour réduire plus encore les impacts tout en maintenant l’activité de pêche ;
  • fermer des zones aux engins traînants. Cette mesure restrictive assure le niveau de protection le plus fort, mais il est important de prendre en compte les conséquences d’un éventuel report de l’effort de pêche vers d’autres zones, afin d’éviter de déplacer le problème.

Une telle gestion intégrée de la pêche, prenant en compte les différents impacts sur les ressources et les écosystèmes en fonction des zones et des habitats, doit être co-construite avec les professionnels de la pêche et les autres parties prenantes pour être connue, comprise et acceptée de tous, mais aussi contrôlée par les services de l’État pour être respectée.