Comment les matériaux biosourcés réagissent dans le milieu marin ?

Sacs, mobilier, vêtements… Les matériaux biosourcés sont de plus en plus présents dans notre quotidien. Même si ces éléments sont d’origine biologique, et parfois biodégradables, ils ne sont pas jetables dans la nature. Sur terre, de nombreuses solutions de gestion des déchets sont mises en place, mais, en mer, que deviennent ces matériaux ? Comment les matériaux biosourcés vieillissent-ils en milieu marin ?

Les matériaux biosourcés, qu'est-ce que c'est ?

Un matériau biosourcé est un matériau totalement ou partiellement biologique, c’est à dite provenant d’une matière vivante d’origine végétale ou animale. Il est souvent présenté comme une alternative aux matériaux pétrosourcés, issus de l’industrie pétrolière. Certains développements portent par exemple sur la création de (sidenote: Polymères

Ce sont des matériaux constitués de chaînes de petites molécules identiques qui se répètent et que l'on appelle des monomères. Les polymères sont présents dans notre quotidien : plastiques, caoutchouc, cellulose, résines, etc. ) , comme les bioplastiques.

L’Ifremer travaille sur les matériaux biosourcés (matière première, biopolymères…) depuis le début des années 2000. L’Institut a travaillé dans un premier temps sur les fibres de lin, utilisées par exemple comme alternative aux fibres de verre ou de carbone pour les coques de bateaux. Puis les études se sont étendues à d’autres matériaux et polymères : PLA (bioplastique le plus utilisé, issu d’amidon de pomme de terre et de maïs), PA11 (bioplastique issu d’huile de ricin) par exemple. Les scientifiques de l’Ifremer ne développent pas eux-mêmes de nouveaux matériaux ou polymères, mais ils caractérisent les propriétés de matériaux modèles ou d’éléments apportés par des partenaires extérieurs (industriels, entreprises, administrations publiques…). Ils cherchent à comprendre comment ils se comportent sur le long terme en mer (plusieurs dizaines d’années). Pour cela, il est nécessaire d’utiliser des vieillissements accélérés mais aussi de caractériser, comprendre et prédire le comportement du matériau.

Historiquement, les polymères biosourcés ou « biopolymères » sont les ancêtres des polymères pétrosourcés. Une grande partie des matériaux pétrosourcés peuvent théoriquement avoir une alternative biosourcée. En pratique, faire en sorte que les matériaux biosourcés aient les mêmes propriétés que leurs homologues pétrosourcés demande beaucoup de temps de développement. Il est nécessaire de trouver le bon équilibre entre usage, efficacité et résistance pour les alternatives biosourcées et non pas une copie conforme des propriétés qui ne sont pas forcément toutes nécessaires.

 

Biosourcé, biodégradable, quelle différence ?

Il existe deux types de biopolymères. Les polymères biosourcés, dont la matière première est issue d’une activité biologique, et les polymères biodégradables (soit grâce à une activité biologique avec des bactéries, champignons, algues…, soit dans des conditions spécifiques de température, d’humidité…). Ils peuvent aussi être les deux à la fois, mais biodégradable ne signifie pas nécessairement biosourcé et inversement. 

Biosourcé ou biodégradable, un matériau ne doit pas être jeté dans la nature ! La dégradation d’un matériau impacte toujours son environnement et les organismes qui y vivent. De plus, la dégradation est différente selon l’environnement : en mer, ou même sous terre, elle peut être très lente. Même si au final le déchet se décompose en biomasse, le processus de fragmentation prend du temps, crée des microparticules et libère des molécules chimiques plus ou moins nocives.

Ce n’est pas parce qu’il y a des solutions biosourcées ou biodégradables qui se mettent en place qu’on peut ne plus faire attention et jeter dans la nature. Il faut continuer à faire attention.

Maelenn Le Gall
Ifremer | Ingénieur matériaux

Accélérer le vieillissement des matériaux biosourcés pour connaître leur viabilité et leur durabilité

En milieu terrestre, les matériaux biosourcés et les biopolymères sont une alternative potentielle et leur utilisation se développe. La gestion des déchets y est plus contrôlée. Certains emballages peuvent même être compostable industriellement ou à la maison.

Les conditions en milieu marin sont très différentes des conditions terrestres. Les températures sont plus froides, les vents plus forts, l’impact du soleil et les pressions sont différents… Les expérimentations réalisées par l’Ifremer sont indispensables pour comprendre comment les matériaux biosourcés réagissent à ces agressions, comment ils se dégradent, afin d’établir leur durée de vie applicative. De plus, il est nécessaire de prendre en compte la fin de vie du matériau, avec un objectif de recyclage et de réutilisation, mais également la problématique de perte du matériau en mer. C’est notamment le cas des filets de pêche : avoir des matériaux biodégradables peut être intéressant mais il faut aussi en réduire l’impact environnemental.

Les scientifiques de l’Ifremer travaillent sur différents points :

  • La caractérisation des propriétés physicochimiques et mécaniques des matériaux. Les chercheurs de l’Ifremer réalisent des expériences en appliquant des contraintes physiques (choc, traction, pliage, pression…) et chimiques (eau salée, autres éléments chimiques…) pour déterminer les points de rupture et les faiblesses du matériau.
  • La durabilité des matériaux en mer pour savoir comment ces propriétés évoluent au cours du temps. À l’aide de moyens de vieillissements (bassins d’eau de mer naturel, accélération du vieillissement, caissons hyperbares…), les chercheurs de l’Ifremer peuvent déterminer l’évolution du matériau et ses modifications au niveau moléculaire, au cours du temps et selon différentes conditions (température, pression…). 
  • La protection de l’environnement et des personnes en s’assurant de la pérennité des matériaux dans le temps mais également en réduisant l’impact écologique des utilisations en milieu marin.
  • L’écotoxicologie des matériaux biosourcés. Lors de leur usage et du processus de dégradation, les matériaux relarguent des molécules chimiques impactant leur environnement.
  • La fin de vie des matériaux biosourcés, que ce soit dans l’optique de recyclage ou de réutilisation quand il est rapatrié sur terre, mais également lorsqu’il est perdu en mer. 

Ces expérimentations contribuent à déterminer l’efficacité des matériaux en fonction de leur utilisation envisagée. Les données des recherches de l’Ifremer sont un outil majeur pour ceux qui veulent écoconcevoir des éléments utilisés en milieu marin.

Pendant longtemps, on cherchait la meilleure efficacité. À l’heure actuelle, on cherche une efficacité nécessaire vis-à-vis de l’application. 

Maelenn Le Gall
Ifremer | Ingénieur matériaux

Les biopolymères sont-ils la solution du futur ?

La fabrication et la composition des polymères pétrosourcés ne sont pas les seuls problèmes. Leur utilisation et leur gestion l’est tout autant. Trouver des alternatives aux polymères pétrosourcés est nécessaire mais cela ne veut pas dire que les sociétés humaines ne doivent pas se questionner sur leurs pratiques.

Nous avons la qualité de vie que nous avons grâce aux polymères mais certaines utilisations sont inadaptées. Répéter cela avec le biosourcé aurait des conséquences similaires. 

Pierre-Yves Le Gac
Ifremer | Ingénieur matériaux

Travailler sur des solutions biosourcées c’est également travailler sur leur utilisation réelle et leur conception. Si un objet n’a pas besoin de résister à des conditions difficiles ou n’a pas une durée de vie très longue, cela ne sert à rien de faire en sorte de complexifier sa composition (et sa fabrication) pour qu’il dure plus longtemps. À contrario, pour les éléments qui doivent avoir des propriétés structurelles spécifiques comme les éoliennes, les questions de durabilité et de viabilité sont primordiales.

C’est une histoire de compromis et d’équilibre entre conception, matériau et usage. Pour obtenir chez un matériau biosourcé exactement les mêmes propriétés qu’un matériau pétrosourcé, il faut parfois concevoir un objet plus épais. Cela demandera alors plus de matières premières et plus d’énergie lors de sa production.

Les recherches scientifiques ne sont qu’à leurs débuts, il existe encore de nombreuses possibilités non étudiées. Il est impossible de dire que les matériaux biosourcés actuels sont LA solution à tout. De plus, même pour certains matériaux biosourcés actuels, l’impact environnemental de leur dégradation, leur durée de vie ou la répercussion de leur production ne sont pas encore bien évalués.
 

Notre objectif au labo SMASH est d’évaluer la pertinence d’une solution potentielle. Comme toute solution, elle a des avantages et des inconvénients qu’il faut quantifier. 

Pierre-Yves Le Gac
Ifremer | Ingénieur matériaux

Les bactéries marines productrices de biopolymères

Depuis les années 1980 l’Ifremer travaille sur les bactéries marines. À partir des années 2000 des recherches ont été mises en place pour déterminer si ces bactéries marines avaient des applications possibles dans la fabrication de biopolymères. 

Les scientifiques ont ainsi mis au point la production, à partir de bactéries marines, de deux types de polymères. Ils sont produits naturellement par les bactéries et la synthèse des polymères peut être reproduite en conditions de laboratoire en appliquant des conditions de culture particulières. Ces polymères, en particulier les EPS et les PHA, ont des structures différentes, appropriées pour des applications différentes, notamment en cosmétique, santé, emballage… : 

  • Les EPS (Exopolysaccharides), sont formés de grosses molécules composées en majeure partie de sucres. Ils sont produits par les bactéries cultivées en présence de glucose et d’éléments nutritifs (azote, phosphore…) et sont évacués. Les EPS peuvent être utilisés comme agent épaississant dans les crèmes en cosmétique par exemple, ou, après modification, pour la cicatrisation osseuse dans le cadre médical.
  • Les PHA (Polyhydroxyalcanaotes), sont des polyesters composés de petites molécules de type acide gras. Ils peuvent être produits en laboratoire en plaçant la bactérie en condition de stress, le plus souvent avec un excès carbone et une carence en éléments nutritifs. Ce procédé limite sa croissance et favorise la production et l’accumulation des PHA comme composé de réserve. Les PHA sont biosourcés, biodégradables et présentent des propriétés thermiques et mécaniques proches de celles des plastiques pétrosourcés. De plus, puisqu’ils sont biocompatibles, ils peuvent être utilisés dans le milieu médical (fil de suture, des pièces de valves cardiaques ou des pièces orthopédiques…).

Pour trouver de nouvelles bactéries productrices de polymères, les scientifiques de l’Ifremer étudient des bactéries marines issues de la collection de l’Ifremer mais également de prélèvements réalisés lors de campagnes en mer. Certains prélèvements contiennent de nombreuses bactéries qu’il faut identifier avant de comprendre leur fonctionnement, puis de les soumettre à des stress afin de voir si elles produisent ou non des polymères.

Le travail de l’Ifremer a pour but de proposer des alternatives possibles avec une empreinte environnementale moins importante que les matériaux pétrochimiques actuels à partir de matière organique renouvelable produite localement. C’est notamment le cas des peintures antifouling avec l’EPS comme épaississant pour les coques des bateaux afin de réduire l’impact environnemental en mer.