Des pesticides dans les océans, quelles conséquences ?

Chaque année, 55 000 à 70 000 tonnes de pesticides sont vendues en France métropolitaine et dans les Outre-mer. Ces pesticides sont très majoritairement utilisés à terre mais on retrouve les molécules qui les composent jusque dans les océans. L’Ifremer étudie les effets de cette pollution chimique sur les organismes marins et la persistance des pesticides dans l’environnement marin. En effet, on retrouve dans l’océan des pesticides anciens, interdits et non utilisés depuis des années, voire des décennies.

Que sont les pesticides ?

Les pesticides sont des produits qui permettent de lutter contre les (sidenote: Ravageurs Ce sont les organismes vivants (insectes, rongeurs, microorganismes...) qui causent des dégâts sur les plantes cultivées. Certains mangent les plantes, d’autres font des dégâts en piquant les plantes, en s’y installant ou en les parasitant. ) et les plantes adventices (celles qu’on appelle souvent les « mauvaises herbes »). Ils sont utilisés en agriculture mais aussi pour la protection du bois, dans l’industrie ou encore en médecine vétérinaire. Les pesticides utilisés sur les continents se retrouvent dans l’océan, soit par ruissellement (via les cours d’eau), soit via les airs.

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pesticides autorisés en France

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pesticides autorisés en Europe1

  • 1Nombres de pesticides autorisés en France et en Europe en mai 2022, selon la base de données de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)

Où trouve-t-on des pesticides dans les océans ?

Les molécules qui composent les pesticides peuvent se retrouver dans l’eau de mer sous leur forme initiale. Elles peuvent aussi avoir été transformées par les microorganismes, ou par réaction chimique. Ces molécules issues des pesticides sont présentes partout dans l’océan, de l’équateur aux pôles et de la surface aux abysses. Elles sont le plus souvent à faibles concentrations.

On retrouve jusqu’à -3000 m certaines molécules comme le DDT et ses produits de dégradation, un insecticide interdit depuis plusieurs décennies.

Wilfried Sanchez
Ifremer | Directeur scientifique adjoint

L'Ifremer et INRAE1  ont coordonné un travail d'expertise scientifique collective sur la contamination par les pesticides et leurs effets sur la biodiversité. Cet état des lieux, publié en 2022, pointe en particulier la contamination du milieu marin et le besoin de connaissances sur l'impact des pesticides sur la biodiversité marine et les services qu’elle nous rend.

  • 1INRAE est l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.

L’Ifremer surveille la pollution des eaux marines

Un suivi réglementaire pour protéger la qualité de l’eau

L’Ifremer suit une dizaine de pesticides dans le milieu marin, en application de la Directive Cadre sur l’Eau. Cette directive harmonise la réglementation européenne et oblige à protéger la qualité des eaux et des milieux aquatiques. L’Ifremer développe des méthodes d’analyses et des dispositifs d’observation des contaminants chimiques. Les mesures sont réalisées par l’institut ou sous-traitées à des laboratoires accrédités. Les données sont ensuite expertisées et transmises aux services de l'État.

Des méthodes d’analyse innovantes pour des pesticides dilués, difficiles à détecter

Dans l’eau de mer, les pesticides sont fortement dilués et difficiles à quantifier. Pourtant, ils peuvent s’accumuler : dans les sédiments des fonds marins, dans les végétaux  et les animaux. L’Ifremer développe donc des méthodes d’analyse des contaminants plus poussées. Les scientifiques accumulent les pesticides sur des membranes immergées pendant plusieurs semaines, afin de faciliter leur analyse (échantillonneurs passifs, mollusques bivalves, sédiments). Les concentrations ainsi mesurées sont comparées à celles fixées par la réglementation dans l’eau.

Surveiller l’apparition de nouvelles substances

Les usages de pesticides à terre évoluent. L’Ifremer anticipe les pollutions marines de demain et traque l’apparition de nouvelles molécules. L’institut développe les méthodologies de prélèvement et d’analyse adaptées. 

Aux Antilles, l’Ifremer a cartographié le chlordécone en mer

Cet insecticide, reconnu toxique et très persistant dans l'environnement, était utilisé dans les bananeraies en Martinique et en Guadeloupe de 1972 à 1993. Très présent à terre, il contamine le milieu marin par ruissellement et infiltration. Certaines zones les plus contaminées font l’objet d’interdictions de pêche, totales ou partielles, par les pouvoirs publics. L'Ifremer a cartographié depuis 2002 la présence de la molécule dans la faune marine pêchée. Une cartographie renouvelée à partir de 2025 pour suivre l’évolution de la contamination. L’institut réalise aussi des mesures dans l’eau de mer, en mettant au point des outils de mesure automatiques, même à des concentrations très faibles.

Nous faisons évoluer nos moyens d'observation et notre capacité d’analyse pour mieux surveiller l'état chimique du littoral, en nous orientant notamment vers l'étude de substances d'intérêt émergent.

Emmanuel Ponzevera
Ifremer | Chimiste

Le réseau de surveillance ROCCH : des données depuis 1974

Le Réseau d’observation de la contamination chimique du littoral (ROCCH) assure le suivi dans le temps des niveaux de contamination chimique du littoral. Les analyses portent sur le sédiment fin, qui piège certaines molécules, et les mollusques (huîtres creuses, moules), qui concentrent les polluants dans leur chair. La liste des molécules suivies évolue en permanence, afin de répondre aux enjeux sociétaux.

Les effets sur les organismes marins sont encore mal connus

Jusque récemment, les études de l’impact des pesticides sur les écosystèmes marins ont été peu nombreuses. Le travail est encore vaste pour appréhender les conséquences sur la reproduction, le comportement et la longévité des organismes marins. L’Ifremer développe des travaux sur différentes espèces animales marines depuis plus de 20 ans et a été précurseur dans ce domaine. L’institut étudie l’impact des pesticides sur le phytoplancton, les poissons ou bien encore les huîtres. Les recherches portent à la fois sur les effets de chaque molécule, mais aussi sur les effets de cocktails de molécules, dont l’action conjuguée peut augmenter les effets sur les organismes marins. 

Les herbicides sont le plus souvent solubles dans l’eau, ce  qui les rend particulièrement (sidenote: Biodisponibilité Ce terme désigne la proportion d’une substance qui va effectivement agir dans un organisme, par rapport à la quantité de produit absorbée. Les organismes arrivent à rejeter une partie de ce qu’ils absorbent. ) . Les herbicides ciblent les plantes aquatiques et notamment le phytoplancton qui est à la base des chaînes alimentaires marines, mais ont aussi des effets sur les animaux marins. Les écotoxicologues de l’Ifremer ont par exemple  mis en évidence la toxicité du diuron - un herbicide - sur le génome des embryons d’huîtres creuses.

Si nous savons que les pesticides contaminent les océans, nous manquons de connaissance sur leurs effets sur la biodiversité marine et les services qu'elle nous rend.

Wilfried Sanchez
Ifremer | Directeur scientifique adjoint

La lutte contre cette pollution des océans se passe à terre 

La plupart des pesticides en mer proviennent  de la terre

C’est donc là que sont prises les mesures de réduction. Au fil des années, les produits les plus toxiques ont été interdits. Ils sont remplacés par des produits réputés moins nocifs et du contrôle biologique (par des insectes, virus…). Les méthodes d’application se sont améliorées pour limiter les pertes dans l’environnement.  

Les améliorations peuvent prendre du temps

On retrouve encore des molécules interdites depuis plusieurs dizaines d'années. Cependant,  leur concentration a tendance à diminuer avec le temps.

Notes

    Contacts
    Wilfried Sanchez
    Directeur scientifique adjoint, Ifremer
    Wilfried.sanchez@ifremer.fr
    Emmanuel Ponzevera
    Responsable Unité Contamination Chimique des Écosystèmes Marins, Ifremer
    Emmanuel.Ponzevera@ifremer.fr
    Emmanuel Thouard
    Responsable Unité Biodiversité et Environnement de la Martinique, Ifremer
    Emmanuel.thouard@ifremer.fr

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