Changement climatique : y aura-t-il de plus en plus de microalgues toxiques sur nos côtes ?

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Ces eaux colorées rouge-marron sont dues à une efflorescence de la microalgue Lingulodinium polyedra sur le littoral du Morbihan jusqu’au large de Noirmoutier

Ces eaux colorées rouge-marron sont dues à une efflorescence de la microalgue Lingulodinium polyedra sur le littoral du Morbihan jusqu’au large de Noirmoutier. Cette image a été prise le 31 mai à 13h18 par le satellite Sentinel-2 de l'Agence spatiale européenne.

Depuis quelques années, les scientifiques observent sur nos côtes l’apparition de microalgues toxiques habituellement tropicales. Est-ce un signe du changement climatique ? Les microalgues toxiques endémiques risquent-elles de proliférer davantage dans le futur ? À l’Ifremer, ces phénomènes sont surveillés de près pour mieux protéger les citoyens et la biodiversité marine.

Les microalgues sont essentielles à la vie en mer et sur terre : elles constituent la base de la chaîne alimentaire de l’océan ; au cours des temps géologiques, elles ont produit une part importante de l’oxygène que nous respirons aujourd'hui. A l’échelle mondiale, environ 5000 espèces sont connues à ce jour, environ 175 sont considérées toxiques pour l’Homme ou nuisibles pour la biodiversité marine sur nos littoraux métropolitains et ultramarins. La présence de certaines espèces est à l’origine de fermetures temporaires de zones conchylicoles et de baignades.

Pour anticiper ces risques, les scientifiques de l’Ifremer surveillent la présence des microalgues toxiques par satellite et sur le terrain grâce au réseau Rephy-Rephytox. Au laboratoire, ils étudient la chimie de ces microalgues, leur régime alimentaire, les toxines qu’elles produisent. Le croisement de ces données expérimentales et de terrain permet d’éclairer la dynamique des différentes espèces de microalgues toxiques dans un futur proche soumis au changement climatique.

Dynophysis s'adapte au changement climatique

Dans le cadre du projet européen Coclime, une équipe de l’Ifremer a étudié les effets du changement climatique sur Dinophysis. Cette microalgue présente dans les eaux tempérées produit des toxines (diarréhiques) affectant la santé humaine via la consommation de coquillages. Les scientifiques ont testé de nombreuses hypothèses pour anticiper son développement selon la température, le pH de l’eau, les quantités de pluie, l’intensité lumineuse… 

Résultat : Dinophysis connaitra des efflorescences au moins jusqu’en 2100 dans les eaux littorales européennes, et ce quel que soit le scénario climatique du GIEC.

Il est néanmoins impossible de savoir si ces efflorescences seront plus fréquentes, plus longues ou plus courtes. En matière de microalgues, les années se suivent mais ne se ressemblent pas. En 2021, par exemple, 20 « événements toxiques » mettant en cause Dinophysis ont été enregistré par le réseau Rephy-Rephytox en France métropolitaine. C’est-à-dire que le seuil réglementaire en toxines a été dépassé à 20 reprises contre 38 en 2020, 24 en 2019 et 36 en 2018, engendrant autant de fermetures d’exploitations conchylicoles.

De gauche à droite : Dinophysis acuta, Ostreopsis cf. ovata et Gambierdiscus caribaeus. Ces trois microalgues toxiques ont des impacts sur la santé et les activités humaines

De gauche à droite : Dinophysis acuta, Ostreopsis cf. ovata et Gambierdiscus caribaeus. Ces trois microalgues toxiques ont des impacts sur la santé et les activités humaines.

Ostreopsis, une microalgue tropicale sous haute surveillance sur la côte Basque

L’été dernier, 800 personnes ont déclaré au centre antipoison du CHU de Bordeaux des symptômes d’intoxication après avoir fréquenté des plages de la côte basque. Les plages suspectées ont alors été fermées et la coupable identifiée. Il s’agit d’Ostreopsis ovata, une microalgue d’ordinaire amatrice d’eaux tropicales. Sa présence étonnante dans le golfe de Gascogne est-elle un indice du changement climatique en cours ?

« Rien ne permet de savoir si Ostreopsis ovata va proliférer à nouveau dans le golfe de Gascogne cet été. En Méditerranée, sa présence répétée depuis les années 2000 témoigne en revanche de la « tropicalisation » rapide de cette mer semi-fermée », explique Philipp Hess, expert en phycotoxines et responsable de la nouvelle unité de recherche « Physiologie et toxines des microalgues toxiques et nuisibles » de l’Ifremer. Les dernières recherches menées en Méditerranée montrent que les eaux chaudes en été sont propices à sa prolifération et qu’il faut que les printemps soient également chauds pour que d’importantes efflorescences se produisent. Dans le golfe de Gascogne, maintenant qu’elle y est établie, il se peut qu’Ostreopsis suive cette même dynamique. 

En mars 2022, le groupement d’intérêt scientifique Littoral Basque a lancé un contrat de recherche pour approfondir les connaissances sur l’algue Ostreopsis. L’Ifremer s’y est notamment engagé à surveiller sa présence dans les eaux de baignade et les estrans, mieux comprendre sa dynamique et mettre en place des seuils d’alerte en fonction de la quantité d’Ostreopsis présente dans les eaux.

La ciguatera gagne du terrain

Troubles digestifs, neurologiques et cardiovasculaires… La ciguatera est une intoxication alimentaire causée par la consommation de poissons ou de fruits de mer contaminés par les toxines des microalgues Gambierdiscus spp. D’ordinaire présentes dans les zones tropicales (Pacifique, bassin caribéen, océan Indien), leur répartition géographique progresse ces dernières années vers les zones subtropicales et tempérées avec des cas signalés aux îles Canaries, à Madère, aux Açores, en Tasmanie et en Nouvelle-Zélande.

« La progression des microalgues responsables de la ciguatera n’est pas liée au réchauffement de l’eau naturellement moins fort sous les tropiques, mais en partie à son acidification, souligne Philipp Hess. Sensibles à la baisse du pH de l’eau de mer, les récifs de coraux meurent et sont colonisés par des macroalgues sur lesquelles se développent les microalgues Gambierdiscus spp. Le changement climatique favorise ici l’habitat de cette microalgue ».

Les poissons et les coquillages se contaminent alors en broutant les macroalgues ou en filtrant l’eau de mer et intoxiquent à leur tour les consommateurs.

Dans le contexte du changement climatique, la recherche et la surveillance sont essentielles pour anticiper et limiter les impacts potentiels des microalgues toxiques sur la biodiversité marine, les activités et la santé humaine.

« Nous ne disposons pas de preuves suffisantes pour affirmer qu’il y aura globalement plus de microalgues toxiques sur nos côtes dans le futur. La situation variera selon les années avec des régions plus impactées et d’autres épargnées. Cela reste à démontrer mais l’arrivée sur nos côtes de microalgues tropicales pourrait être compensée par la disparition d’espèces tempérées. Ce que nous savons en revanche, c’est que le changement climatique provoquera des efflorescences de plus en plus difficiles à prévoir au gré notamment d’événements extrêmes (vagues de chaleur, tempêtes…) de plus en plus fréquents », conclut Philipp Hess.

L’Ifremer renforce ses recherches pour répondre aux enjeux de demain

Depuis le 1er janvier 2022, l’Ifremer a réuni plusieurs équipes au sein d’une nouvelle unité baptisée Phytox « Physiologie et toxines des microalgues toxiques et nuisibles ». Rassemblant 30 personnes, elle a pour ambition de comprendre comment ces microalgues se nourrissent dans différentes conditions environnementales, comment elles interagissent avec d’autres organismes marins comme les bactéries, le zooplancton, les coquillages, les poissons, et de caractériser la biodiversité chimique des toxines qu’elles produisent, leur devenir dans les écosystèmes et leurs effets sur l’homme et les activités humaines.

Découvrez une vidéo de présentation de PHYTOX