Comment les bars sont masculinisés sous l’effet de la température

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2200 jeunes bars ont été élevés plusieurs mois en bassin pour cette expérimentation

2200 jeunes bars ont été élevés plusieurs mois en bassin pour cette expérimentation.

Une femelle qui devient male, c’est fréquent chez les jeunes bars. Une expérience menée par l’Ifremer sur plus de 2000 individus a permis de comprendre les mécanismes génétiques en jeu dans cette réversion sexuelle liée à la température de l’eau. Les résultats, publiés aujourd’hui dans la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America), soulignent le risque induit par le changement climatique pour la pérennité de l’espèce dans le milieu naturel.

Chez les mammifères comme chez les oiseaux, le déterminisme du sexe a lieu lors de la fécondation. Mais chez les poissons, une femelle qui devient mâle dans les premiers stades de vie, c’est courant. Car les facteurs environnementaux peuvent influencer le sexe des individus. Par exemple la forte température, l’acidité de l’eau, ou encore la densité de la population ont un impact sur le sexe de nombreuses espèces de poissons. Chez le bar, les femelles, souvent minoritaires dans les élevages piscicoles, ont la préférence des producteurs. Elles présentent de bien meilleurs taux de croissance que les mâles, avec un gain de 30% supérieur à nourriture égale.

L’impact de la température de l’eau est un critère bien identifié, avec une masculinisation accrue aux températures plus élevées. Mais quelles sont les caractéristiques des individus qui subissent ce changement de sexe ? Un article scientifique publié aujourd’hui dans la revue PNAS permet d’éclaircir cette question pour le bar. La réponse se trouve dans les gènes.

En étudiant la répartition des gènes de 2200 individus, nous avons pu déceler que 25% avaient une orientation génétique femelle plus faible. Ce sont eux qui se masculinisent aux températures élevées dans les premiers mois de leur existence.

Benjamin Geffroy
Chercheur en physiologie-écologie au laboratoire Ifremer de Palavas-les-Flots
Membre de l’unité mixte de recherche Marbec

Un gène qui se modifie selon la température de l’eau

Les chercheurs ont également identifié plus précisément un gène clef qui s’exprime davantage aux températures plus élevées. De plus, le profil spécifique des individus à tendance génétique femelle leur donne plus d’énergie et donc une meilleure croissance.

Un an d’expérimentation dans les bassins de l’Ifremer à Palavas-les-Flots a été nécessaire pour obtenir ces conclusions. Jusqu’ici, les approches génétiques étaient globales au niveau d’un groupe. Ici, une analyse individuelle a été menée pour la première fois sur un tel nombre de jeunes poissons, avec un suivi de leur physiologie (énergie, expression des gènes) et de leurs caractéristiques génétiques. Au terme de l’expérience, les bassins à faible température (16°C) comptaient 50% de males, alors que 75% de males étaient présents dans ceux à plus forte température (21°C).

Une expérimentation complémentaire a permis de préciser deux autres critères favorables pour la production de femelles : la faible densité d’élevage et la domestication, car une génération déjà sélectionnée plusieurs fois pour la croissance produit plus de femelles (précisions à retrouver dans l’article publié en juin dans la revue Science Report). Des résultats importants pour la filière piscicole française spécialisée sur la production de juvéniles de bars.

Enfin, ces études soulignent le risque induit par le changement climatique pour la pérennité de l’espèce dans le milieu naturel, avec un appauvrissement des populations en femelles dans une eau plus chaude. Les expérimentations se poursuivent en ce moment sur ce point au Chili dans le cadre du projet Warmfish.

Les résultats présentés ont été obtenus dans le cadre du projet 3S (Seabass, sex and stress) mené par l’Ifremer en partenariat avec le Sysaaf. Il a commencé en Janvier 2018 et s’est terminé cet été et il est soutenu par le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).
L’unité mixte Marbec (Marine biodiversity, exploitation and conservation) regroupe des personnels de 4 organismes : l’Ifremer, le CNRS, l’IRD et l’université de Montpellier.