Confiné à terre, l’Ifremer traque les algues nuisibles depuis l’espace

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Accumulations de mousses de Phaeocystis globosa sur les plages des Hauts de France observées en mai 2019

Accumulations de mousses de Phaeocystis globosa sur les plages des Hauts de France observées en mai 2019.

Alain Lefebvre, responsable du laboratoire environnement ressources de Boulogne-sur-Mer, trace depuis un mois le développement de Phaeocystis globosa, une algue dont la prolifération est néfaste pour l’environnement, grâce à des données satellites et une station instrumentée autonome.

Sur les côtes de la Baie Sud de la Mer du Nord à la Manche Orientale, Alain Lefèbvre observe depuis mi-avril un développement important de la biomasse du phytoplancton. Ce « bloom » pourrait favoriser l’apparition de Phaeocystis globosa, des algues qui libèrent un mucus formant une couche de mousse sur l’eau pouvant atteindre 2 m de haut ! Bien que naturel, ce phénomène est amplifié par les apports en nutriments (azote, phosphate…) en mer découlant des activités humaines. Il est à l’origine du processus d’eutrophisation qui détériore la qualité des eaux littorales.

Sans pouvoir prendre la mer, comment avez-vous fait pour détecter ce bloom ?

« En jetant l’ancre devant mon écran d’ordinateur, j’ai effectivement pu suivre au jour le jour le développement de cette efflorescence algale. C’est l’utilisation combinée de plusieurs technologies qui permet aux chercheurs de l’Ifremer d’étudier et d’anticiper ces phénomènes à distance. Il y a d’abord l’utilisation des données du satellite européen Copernicus Sentinel-3. Au moyen d’un réseau de capteurs, il parvient à évaluer la quantité de phytoplancton, grâce notamment à l’indicateur de la chlorophylle-a. Ces données sont enrichies par les mesures à haute fréquence fournies par la bouée Marel Carnot. Cette station d’instrumentation de l’Ifremer postée dans les eaux côtières de Boulogne-sur-Mer relève entre-autres les valeurs de fluorescence dans l’eau, un indice important pour estimer la biomasse de phytoplancton. Dans le cadre du projet européen Interreg S 3 Eurohab nous travaillons avec nos partenaires britanniques à la mise en place pour la Manche d’un système d’alerte en ligne de détection de l’eutrophisation et des efflorescences algales nuisibles (HAB), toujours sur la base des données du satellite Sentinel-3. Unique en Europe, cette application web, destinée en particulier aux gestionnaires de l’espace marin et aux industries des pêches, est aujourd’hui en phase de tests ».

Est-ce à dire que les technologies numériques rendront bientôt obsolètes les missions d’observation en mer ?

« Absolument pas, les deux approches sont complémentaires. Nous continuerons de faire des prélèvements en mer pour mesurer la concentration en chlorophylle, le taux d’oxygène, la salinité… et caractériser la communauté phytoplanctonique. Ce sont d’ailleurs ces données de terrain qui servent de référence pour le calibrage des algorithmes des images satellite et des modèles. Les missions en mer et donc les séries de données acquises depuis des décennies restent évidemment indispensables pour intégrer les variations liées au changement climatique et aux activités humaines. La combinaison des deux approches est au contraire un atout pour mieux anticiper ces phénomènes et cibler plus précisément nos investigations sur des zones clairement identifiées comme étant susceptibles de présenter des altérations du fonctionnement de l’écosystème marin ».

Dès que cela sera possible, les équipes de laboratoire environnement ressources de Boulogne-sur-mer retourneront en mer prélever des échantillons d’eau de mer sur ces zones ciblées par satellite afin de vérifier, si comme le prédit Alain Lefebvre, le bloom de Phaeocystis globosa touche à sa fin.