COP15 : Comment soutenir une utilisation durable des espèces marines sauvages ?

Publié le
Banc de thons rouges (Thunnus thynnus) en Méditerranée

Banc de thons rouges (Thunnus thynnus) en Méditerranée.

L’IPBES, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, a publié en juillet 2022 son rapport sur l’utilisation durable des espèces sauvages. Celui-ci souligne que la survie et le bien-être de milliards de personnes dépendent de 50.000 espèces sauvages. Les experts mettent en lumière les facteurs clés qui conditionnent un usage plus durable des espèces sauvages et pour réduire l’impact des activités humaines, dont la pêche, sur la biodiversité.

En juillet 2022, l’IPBES a publié un rapport sur l’utilisation durable des espèces sauvages. Celui-ci conclut que l’humanité dépend de 50.000 espèces sauvages pour sa survie et son bien-être, dont 10 à 12.000 pour un usage alimentaire. La pêche représente une part importante de l’usage des espèces sauvages et concerne près de 7.500 espèces de poissons et invertébrés aquatiques. L’évolution de la demande et des techniques de pêche a conduit ces dernières décennies à une surexploitation de certaines populations aquatiques et à des captures accessoires ou accidentelles qui ciblent d’autres espèces que celles visées. Ces captures peuvent avoir un impact important sur la biodiversité marine, comme l’illustre le cas des requins et des raies, dont 34% des espèces connues sont aujourd’hui considérées comme vulnérables ou en danger à cause de la pêche.

Assurer un usage durable des espèces sauvages est difficile, mais possible si on met en place des politiques de préservation appropriées. Même dans des contextes où l’on a observé une surexploitation, on peut inverser la tendance, et ainsi réconcilier la conservation des espèces sauvages avec un usage durable qui reste nécessaire au bien-être humain.

Jean-Marc Fromentin
Jean-Marc Fromentin
Chercheur à l’Ifremer
Co-coordinateur du rapport de l’IPBES

Thon rouge : s’appuyer sur des institutions robustes pour préserver l’espèce

Les différentes espèces de thons ont un fort intérêt commercial et représentent aujourd’hui plus de 9% de l’ensemble des prises de la pêche en mer. Parmi ces espèces, le thon rouge Atlantique est la plus emblématique. Exploitée en Méditerranée depuis l’antiquité, cette espèce est devenue fortement surpêchée à la suite de l'essor du marché du sashimi dans les années 1980, qui a généré une forte demande. L’augmentation de sa valeur marchande a abouti à une surcapacité incontrôlée de la flotte de pêche internationale. Depuis les années 1990, le comité scientifique de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (CICTA) avait alerté sur l'état critique du thon rouge Atlantique. Ce n’est cependant qu’en 2009, après que des organisations non-gouvernementales aient attiré l’attention du public, qu’un plan de reconstitution conforme aux avis scientifiques a été mis en place, avec une réduction de la durée de la saison de pêche, une augmentation de la taille minimale de capture, de nouveaux outils de suivi et de contrôle des activités de pêche, une réduction de la capacité de pêche de l’ordre de 40% et un quota annuel 3 à 5 fois inférieur. Depuis l’adoption de ce plan en 2010, la population de thon rouge de l'Atlantique a pu se reconstituer et l’espèce est désormais exploitée dans les limites de durabilité écologique.

Assurer la durabilite de la peche artisanale en impliquant les pecheurs locaux

Dans son rapport, l’IPBES a mis en évidence que beaucoup des pêcheries artisanales dans le monde ne sont pas, ou que partiellement, durables, en raison de l'évolution des contextes socio-écologiques. Certains cas prouvent cependant que des situations de surpêche peuvent être stoppées, en prenant en compte la dimension sociale, en plus des facteurs écologiques. Le pirarucu (Arapaima gigas), l’un des plus grands poissons d’eau douce du fleuve Amazone, a fait l’objet d’une pêche locale depuis plusieurs siècles, mais a connu une surexploitation dans les années 1980. Face à l’inefficacité des mesures de gestion mises en place de manière verticale, peu appliquées, et à la menace d’effondrement des stocks, la communauté de pêcheurs de la réserve de Mamirauá, au Brésil s’est mobilisée. Une gestion communautaire de l’espèce a été initiée, sur la base des connaissances traditionnelles des pêcheurs et de leur implication dans l’établissement et le contrôle des régulations de la pêche. Les scientifiques ont également été sollicités pour mieux comprendre la biologie et l’écologie de cette espèce ainsi que les aspects technologiques, sociaux et économiques de la pêcherie. Après deux décennies, cette initiative s’est avérée un succès écologique et socio-économique : les bénéfices de cette pêche ont augmenté et ont été partagés équitablement dans la communauté. Ce mode de gestion a désormais été adoptée par une centaine de communautés locales et autochtones du bassin amazonien.

Cette stratégie a permis une reconstitution des populations de pirarucu, allant jusqu’à 25% d’augmentation de la population par an, mais aussi une plus grande implication des femmes dans ces pêcheries. L’implication des acteurs locaux dans les prises de décisions a permis non seulement d’approuver rapidement des mesures de protection et de gestion plus durable du pirarucu, mais aussi d’éliminer des activités de pêche non soutenables ou illégales.

Jean-Marc Fromentin
Jean-Marc Fromentin
Chercheur à l’Ifremer
Co-coordinateur du rapport de l’IPBES

Prevoir l’impact du changement climatique

Le changement climatique est une source de vulnérabilité pour des usages qui sont actuellement durables, avec des conséquences sur les cycles de vies, la répartition et les interactions des espèces marines sauvages. D’après les plus récents travaux de modélisation, il devrait également entraîner une diminution des captures mondiales de poissons de l’ordre de 15% sur l’ensemble des océans d’ici 2100, avec un effet plus prononcé dans les océans tropicaux, mais aussi de nouvelles opportunités dans les océans de moyenne et haute latitude du fait du déplacement des populations. Des chercheurs et des partenaires l’Ifremer travaillent aujourd’hui à anticiper les évolutions des espèces sauvages et la durabilité de la pêche commerciale (par exemple à travers les projets SOMBEE et FORESEA 2050) dans le contexte du changement climatique.

D’autres facteurs sont également à prendre en compte pour l’évolution de l’usage des espèces sauvages, comme l’augmentation de la population humaine. D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la demande en produits de la mer devrait doubler d’ici 2050. Pour faire face à ces évolutions rapides du contexte climatique, démographique et technologique, les experts de l’IPBES insistent sur la nécessité de mettre en place des systèmes de gestion adaptatifs, afin de préserver les espèces sauvages exploitées tout en continuant de manière raisonnée une exploitation qui reste nécessaire au bien-être humain. Le rapport liste ainsi sept éléments clefs permettent un usage plus durable des espèces sauvages :

  • Privilégier les systèmes de prise de décision inclusifs et participatifs ;
  • Reconnaître différentes formes de connaissances, en rapprochant les communautés locales, les scientifiques et les autres acteurs ;
  • Assurer une distribution équitable des coûts et des bénéfices ;
  • Adapter les réglementations au contexte social et écologique ;
  • Assurer le suivi des espèces sauvages et des pratiques sur le plan écologique et social ;
  • Harmoniser les réglementations en prenant en compte les obligations internationales et les coutumes locales ;
  • Privilégier les institutions robustes s’appuyant sur le travail collaboratif, plutôt que les systèmes centralisés.

 

Nos projets pour comprendre comment la biodiversité réagit aux pressions des activités humaines et du changement climatique

Les enjeux de connaissances et de protection de la biodiversité marine sont au cœur de nombreux travaux de recherche menés à l’Ifremer. En amont de la COP 15, voici quelques exemples des projets sur lesquels nos équipes scientifiques travaillent pour comprendre comment la biodiversité réagit aux pressions des activités humaines et du changement climatique.

Changement climatique : comment se porteront les récifs d’hermelles en 2050 ?

Une équipe de l’Ifremer révèle, dans la revue internationale Global Change Biology, que les récifs d’hermelles gagneront du terrain en Europe à la faveur du changement climatique. Leur superficie en Europe pourrait augmenter de 27,5% vers le nord jusqu’aux frontières de l’Écosse. Ces récifs qui protègent le trait de côte contre l’érosion et abritent une grande biodiversité, pourraient néanmoins se fragmenter voire disparaitre dans certaines zones, notamment dans les Pertuis charentais.

Une première : des coraux d’eau froide étudiés en aquarium sous pression pour tester leur adaptation au changement climatique

Le 31 août dernier, les scientifiques de la campagne ChEReef, pilotée par l’Ifremer, ont ramené à terre des coraux d’eau froide prélevés à 800 m de profondeur au large de la Bretagne. Maintenus vivants dans des aquariums sous pression, ces coraux méconnus sont conservés à Océanopolis (Brest) où ils seront soumis à différentes conditions de température et d’acidité. Cette expérience inédite permettra d’estimer leur capacité d’adaptation face au changement climatique. L’équipe de ChEReef a également mené d’autres expériences en mer pour évaluer les impacts du chalutage de fond sur ces organismes marins.

Quand les coraux fusionnent pour mieux survivre

Alors que les coraux sont fragiles face au dérèglement climatique, des scientifiques de l’Ifremer ont découvert que certains coraux dits « chimères » résistent mieux aux changements de leur environnement, notamment de température, que leurs congénères ordinaires.

Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques : résultats de l’expertise scientifique collective INRAE-Ifremer

Dans le cadre du programme Ecophyto II+, les ministères en charge de la transition écologique, de l’agriculture et de la recherche ont confié en 2020 à INRAE et l’Ifremer le pilotage d’une expertise scientifique collective sur les impacts de ces produits sur la biodiversité et les services écosystémiques, depuis leurs zones d’épandage jusqu’au milieu marin, en France métropolitaine et en Outre-Mer. Les conclusions de cette expertise, présentées ce 5 mai lors d’un colloque public, confirment que l’ensemble des milieux terrestres, aquatiques et marins – notamment côtiers – sont contaminés par les produits phytopharmaceutiques. Des impacts directs et indirects de ces substances sont également avérés sur les écosystèmes et les populations d’organismes terrestres, aquatiques et marins. La contamination tend néanmoins à diminuer pour les substances interdites depuis plusieurs années.

Climat : le rôle mésestimé de la biodiversité des abysses dans la pompe à carbone océanique

Les scientifiques estiment que l’océan absorbe 30 % des émissions de CO2 dues aux activités humaines. Véritable « pompe à carbone », il est ainsi un régulateur essentiel du changement climatique. De récents résultats publiés dans Nature Communications et Science Advances suggèrent que la contribution de l’océan profond, et plus particulièrement de sa biodiversité, dans cette pompe à carbone océanique est néanmoins mal estimée. Ces nouvelles découvertes pourraient permettre d’améliorer les modèles climatiques tels que ceux utilisés par le GIEC.

Contacts presse
Service Presse Ifremer
presse@ifremer.fr 06 07 84 37 97 / 06 15 73 95 29