Pêche & aquaculture

Pour résister aux maladies, les huîtres réconcilient les théories de Darwin et de Lamarck

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L’environnement joue un rôle particulièrement important pour les huîtres lors du développement des larves, comme ici en jaune un naissain d’huîtres creuses.

Dans une nouvelle étude parue dans Science Advances, des scientifiques révèlent le rôle majeur de l’environnement dans le développement de la résistance des huîtres creuses au syndrome de mortalité des huîtres du Pacifique (POMS) qui impacte les élevages du monde entier. Pour la première fois, ils mettent en évidence l’importance de modifications non-génétiques qui permettent à l’huître creuse de s’adapter rapidement et de transmettre cette capacité de résistance à sa descendance.

Depuis les années 2000, le syndrome de mortalité des huîtres du Pacifique (POMS) représente la principale cause de mortalité dans les élevages d’huîtres creuses du monde entier. Pourtant, les populations d’huîtres fortement exposées s’adaptent peu à peu à ce syndrome, comme vient de le démontrer une étude publiée dans Sciences Advances par des scientifiques de l’Ifremer, de l’Université de Perpignan Via Domitia, du CNRS et de la division de l'expertise sur la faune Aquatique du Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs de Québec. Ainsi, dans les zones d’élevages conchylicoles où les agents pathogènes sont plus présents, jusqu’à 95% des huîtres développent une résistance au syndrome, contre moins de 50% hors des zones d’élevage. Si la génétique joue un rôle dans cette résistance, les scientifiques révèlent également ici l’importance d’une autre forme d’adaptation non-génétique.

« Quand les huîtres vieillissent ou sont exposées à un stress environnemental, par exemple, on voit apparaître des modifications épigénétiques, c’est-à-dire des petits changements autour des brins d’ADN, raconte Jérémie Vidal-Dupiol, chercheur en génomique marine à l’Ifremer et dernier auteur de la publication. Ces changements sont réversibles et ne modifient pas la séquence de l’ADN, mais ils suffisent à modifier légèrement le fonctionnement de l’huître. »

L’étude montre qu’au-delà de l’âge et de la génétique, l’influence de l’environnement, par exemple l’exposition de l’huître à des micro-organismes, joue un rôle essentiel dans l’adaptation et la résistance des huîtres au POMS : plus de 50 % de ces modifications épigénétiques ne sont dues qu’à l’influence de l’environnement.

En agissant sur le système immunitaire, ces modifications rendent les huîtres mieux à même de se défendre face aux maladies. La présence dans l’environnement des agents pathogènes impliqués dans le POMS entraîne une sélection naturelle des huîtres creuses les plus résistantes.

« Sur le principe, les mécanismes d’adaptation des huîtres creuses que nous avons identifiés sont assez comparables à ceux de la sélection naturelle décrits par Darwin. Sauf qu’au lieu d’être dus au seul hasard et de s’imposer après plusieurs générations, ils se mettent en place tel que le prédisait Lamarck au cours de la vie d’un même individu, en réaction directe aux contraintes auxquelles il est exposé, précise Jérémie Vidal-DupiolEt comme ces modifications épigénétiques se transmettent à la descendance, la population peut s’adapter très vite aux changements de son environnement. »

La mise en évidence de ces mécanismes d’adaptation rapide ouvre la voie à de nouvelles stratégies pour l’aquaculture, en permettant d’identifier les huîtres creuses qui sont les mieux à même de s’adapter aux maladies et aux autres contraintes de leur environnement. Les scientifiques étudient à présent la possibilité de stimuler les huîtres pour leur permettre de renforcer leur système immunitaire en offrant un environnement enrichi aux naissains en écloserie, par exemple, par l’ajout de probiotiques.