Les microalgues toxiques, quels risques pour les humains ?

Diarrhées, paralysie, amnésie… en l’absence de précautions, les consommateurs de coquillages et poissons peuvent s’exposer à des empoisonnements. Pourtant ce ne sont pas ces animaux qui sont en cause, mais ce qu’ils ont eux-mêmes mangé : des microalgues toxiques. L’Ifremer surveille l’abondance de ces microalgues toxiques en mer pour alerter lors de proliférations. L’institut cherche à comprendre ces petits organismes et à anticiper les épisodes de proliférations, pour mieux accompagner les professionnels de la mer qui sont impactés.

Les microalgues prolifèrent en « blooms » dans l’eau

Les microalgues sont des organismes invisibles à l’œil nu. Elles sont constituées de cellules vivant individuellement et pratiquant la photosynthèse. Elles peuvent vivre dans la colonne d’eau (elles font alors partie du phytoplancton) ou sur différents supports tels que les macroalgues ou encore les coraux (elles font alors partie du microphytobenthos). On estime à plus de 100 000 le nombre d’espèces de microalgues. Certaines d’entre elles produisent des toxines, dangereuses pour les humains ou pour d’autres organismes vivants. 

Au printemps ou en été, les microalgues peuvent se multiplier et devenir brusquement très abondantes. On appelle ce phénomène une efflorescence algale (ou bloom, en anglais). Lorsqu’il s’agit d’une espèce toxique, les poissons et coquillages qui la consomment peuvent accumuler les toxines de cette espèce. Il y a alors un risque d’intoxication, plus ou moins grave, pour le consommateur : diarrhées, paralysie, amnésie…

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espèces de microalgues sont nuisibles à la biodiversité ou toxique pour les humains

Les conséquences : des restrictions fortes pour la pêche et l’aquaculture  

Afin d’éviter tout danger pour le consommateur, des périodes d’interdiction de la commercialisation des coquillages, ou des interdictions de pêche sont mises en place. Ces fermetures sont décidées par les pouvoirs publics en cas de présence de toxines dans les coquillages à des concentrations supérieures au seuil réglementaire. Elles peuvent durer, selon la zone et l’algue responsable, de quelques semaines à plusieurs années.

En France hexagonale, des interdictions de commercialisation des huîtres et moules ont lieu chaque année, au printemps ou en été. La sortie des coquillages de l’eau, pour la vente, est à nouveau autorisée lorsque les toxines présentes dans les coquillages retrouvent des valeurs inférieures au seuil réglementaire. En Guadeloupe, afin de lutter contre la ciguatera (intoxication alimentaire aussi connue sous le nom de “gratte” en Outre-mer), 15 espèces de poissons sont répertoriées comme étant les plus toxiques. Elles sont répertoriées dans un arrêté préfectoral et certaines espèces sont totalement interdites à la pêche. Pour d’autres, l’interdiction dépend de la zone de pêche ou du poids des individus. 

4 réseaux de surveillance des microalgues toxiques

Pour anticiper ces risques, l’Ifremer surveille la présence des microalgues toxiques sur le terrain, grâce à plusieurs réseaux d’observation et par satellite pour une vision à plus large échelle.

Les laboratoires côtiers de l’Ifremer vont sur le terrain et prélèvent de l’eau une à plusieurs fois par mois.

Maud Lemoine
Ifremer | Biologiste
Coordinatrice des réseaux de surveillance REPHY et REPHYTOX

Les membres du réseau REPHY prélèvent régulièrement de l’eau à proximité des sites conchylicoles et au large. Ils avertissent les services de l’État si les concentrations en microalgues toxiques sont trop élevées. 

Le réseau REPHYTOX est coordonné par l’Ifremer et consiste à mesurer directement la toxicité des coquillages dans les zones de production et de pêche. Il fait appel à des laboratoires accrédités, indépendants de l’Ifremer. Ces mesures visent à répondre aux besoins de la réglementation européenne conçue pour protéger les consommateurs de fruits de mer et de poissons.

Depuis 2020, l’Ifremer a mis en place le réseau d’observation ROME. Il mesure l’ (sidenote: ADN environnemental C'est une technique qui permet d'identifier les espèces présentes dans un milieu, sans isoler chaque organisme au préalable. L’ADNe peut être extrait à partir d’un échantillon naturel (eau, sédiment, etc.). Il s’agit d’analyser à la fois l'ADN de cellules intactes, mais aussi les traces d’ADN laissées par les organismes, via des urines, morceaux de peau, mucus... ) dans l’eau de 4 sites côtiers français, pour analyser la diversité du phytoplancton. Il s’appuie entre autres sur des technologies récentes pour détecter de l’ADN rare et ainsi surveiller si certaines microalgues deviennent plus abondantes. Cela contribue à anticiper l’apparition de nouvelles espèces potentiellement dangereuses et à mettre en place un suivi plus rapproché si nécessaire. 

Certains blooms peuvent être visibles à l’œil nu : les microalgues sont alors tellement nombreuses qu’elles colorent l’eau de mer en orange, rouge, vert… Ils sont parfois observables depuis l’espace grâce aux satellites ! Depuis le bord de mer, l’Ifremer invite tous les citoyens à signaler les eaux colorées qu’ils observent sur le littoral. Il suffit de prendre une photo et de l’envoyer à l’Ifremer,  via l’application Phenomer sur smartphone.

Étudier les microalgues pour anticiper les blooms et aider les gestionnaires

Les chercheurs de l’Ifremer étudient la biologie de ces microalgues et les toxines qu’elles produisent. Le croisement de ces données avec celles du terrain permet d’éclairer la dynamique des différentes espèces. Nos scientifiques cherchent aussi à mieux identifier les microalgues : parfois deux espèces proches ne produisent pas du tout les mêmes toxines ! 

La science peut accompagner les gestionnaires pour minimiser les impacts potentiels et mieux protéger les consommateurs.

Philipp Hess
Ifremer | Chercheur en chimie des phycotoxines
Directeur de l’Unité Physiologie et Toxines des micro algues toxiques et nuisibles

Simuler les efflorescences pour anticiper

Les observations des réseaux alimentent tout un travail de modélisation. Ces modèles conceptuels ou numériques permettent de tester quels facteurs déclenchent les blooms. À partir de quelle température ? Quels nutriments dans l’eau favorisent la prolifération des microalgues ?

Ces simulations sont très utiles pour anticiper les événements proches, mais aussi pour évaluer les évolutions futures, dans un contexte de changement climatique où les efflorescences sont plus difficilement prévisibles, au gré d’événements extrêmes (vagues de chaleur, tempêtes…) plus fréquents.

Focus sur 5 microalgues particulièrement étudiées

Ostreopsis, nouvelle dans les eaux de baignade de métropole    

La microalgue Ostreopsis est d’ordinaire amatrice d’eaux tropicales. Mais depuis les années 2000, elle est présente en Méditerranée et depuis 2021 sur la côte basque. Depuis 2022, l’Ifremer surveille sa présence dans les eaux de baignade et le littoral. L’objectif ? Mieux comprendre sa biologie et mettre en place des seuils d’alerte en fonction de la quantité d’Ostreopsis présente dans les eaux, car la microalgue peut causer de la toux, fièvre et maux de tête chez les baigneurs. 

Dinophysis est suivie depuis les années 80

Dès 1983, les microalgues du (sidenote: Genre Ce terme de la classification des êtres vivants désigne un groupe d’espèces proches, ayant en commun plusieurs caractères. Par exemple, le genre Canis est celui du chien, mais il regroupe aussi le chacal et le coyote. ) Dinophysis ont été reconnues comme responsables d’intoxications diarrhéiques chez les consommateurs de coquillages contaminés sur la côte Atlantique. Elles sont suivies depuis 1984 par le réseau REPHY (appelé aujourd’hui REPHYTOX pour la partie dédiée aux toxines) de l’Ifremer (voir ci-dessus). Dinophysis étant très toxique, les seuils d’alertes commencent à 100 cellules par litre d’eau ! Les chercheurs de l’institut ont démontré que les toxines produites par les microalgues Dinophysis varient selon les espèces. Certaines provoquent des diarrhées chez les consommateurs de coquillages. D’autres émettent des toxines non diarrhéogènes pour les humains mais dangereuses pour les organismes marins.

La maladie ciguatera en Martinique et Guadeloupe

Plus de 25 000 personnes dans le monde seraient touchées chaque année par la ciguatera. Cette intoxication alimentaire due aux microalgues du genre Gambierdiscus se manifeste notamment par des troubles digestifs, neurologiques et cardiovasculaires. Elle est présente historiquement dans les zones tropicales (Pacifique, Caraïbes, océan Indien). Elle survient désormais dans des régions où elle n’avait jamais été observée. Les perturbations environnementales, comme l’augmentation prolongée de la température de l’eau de mer et les activités anthropiques contribuant à la dégradation du milieu marin, créent des conditions favorables pour le développement des cellules de Gambierdiscus. L’Ifremer cherche à étudier la diversité et la toxicité des microalgues responsables de la ciguatera, pour améliorer la gestion du risque d’intoxication. 

Alexandrium produit des toxines paralysantes

Les microalgues du genre Alexandrium provoquent une intoxication qui peut être mortelle pour les personnes les plus fragiles, notamment car elle peut paralyser le muscle cardiaque. En France, le risque est évité grâce au suivi effectué par l’Ifremer et les services de l’État, et aux actions de la filière conchylicole.   

Pseudo-Nitzschia s’installe chez les Saint-Jacques

La microalgue Pseudo-Nitzschia produit des toxines amnésiantes et s’accumule dans tous les coquillages.  La plupart des coquillages se décontaminent rapidement après un bloom (en quelques jours), mais les coquilles Saint-Jacques n’ont pas cette chance : elles peuvent rester contaminées plusieurs mois après un bloom. Les blooms se produisent le plus souvent hors des périodes de pêche, voire hors des zones de pêche. La toxicité des coquillages est vérifiée avant l’ouverture de chaque saison de pêche.

Aller plus loin

Vous pouvez consulter la vidéo « Pourquoi est-il important de surveiller les microalgues sur nos côtes » ou le livre « Les microalgues toxiques et nuisibles de l’océan mondial - Toxic and harmful microalgae of the World Ocean », un livre scientifique en français (à partir de la page 238) et en anglais. 
Consultez aussi le site du projet de recherche S-3 Eurohab, sur la détection des algues toxiques par satellite.