Océan sous pressions : comment les organismes marins réagissent-ils ?

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Portrait de Carole Di Poi

Trois questions à Carole Di Poi, chercheure en écophysiologie marine et porteuse du projet Microco2sme

Quelles sont les pressions qui pèsent le plus sur l’océan ?

Selon l’ONU et la communauté scientifique, la planète fait face actuellement à une triple crise : le changement climatique, la pollution et l’érosion de la biodiversité. L’océan n’échappe pas à ces pressions. Les impacts du réchauffement, de l’acidification des eaux et de la pollution notamment plastique sont déjà visibles sur la biodiversité marine et les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon une publication récente, 17 % de la biomasse mondiale d’animaux marins pourrait disparaître d’ici 2100 si nous maintenons les émissions de CO2 au rythme actuel. Tandis que la quantité de plastiques accumulée dans les océans à l’échelle mondiale devrait tripler d’ici 2060 selon l’OCDE, les experts de la biodiversité et des services écosystémiques de l’IPBES1 nous alertent sur une extinction des espèces sans précédent et qui s’accélère. A tous les niveaux de la chaîne alimentaire, les organismes marins sont impactés par les plastiques, qu’il s’agisse de dommages physiques et/ou chimiques par les composés toxiques libérés. L’accumulation de ces composés perturbent leur comportement, leur développement ou encore leur reproduction.

En revanche, le lien entre la pollution plastique et le changement climatique semblait, jusqu’il y a peu, moins évident. Ces trois pressions sont pourtant fondamentalement liées. Un rapport du CIEL (Center for International Environmental Law) paru en 2019 pointe la contribution directe de l’industrie des plastiques au changement climatique : si l’on prend en compte l’ensemble de son cycle de vie (production, exploitation, recyclage, etc.), les plastiques engendrent un volume colossal d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et pourrait représenter jusqu’à 19% du bilan carbone mondial total d'ici 2040 d’après l’OCDE. Et cela sans compter ceux que les plastiques libèrent lorsqu’ils se dégradent dans l’océan sous l’effet du rayonnement solaire. Plus l’océan se réchauffe, plus les plastiques se décomposent en petites particules et plus ils libèrent des GES (méthane, éthylène, etc.), ce qui contribue au changement climatique. Nous sommes dans un cercle vicieux !

 

Que sait-on des effets combinés de ces différentes pressions sur la biodiversité marine ?

L’exemple le plus emblématique des effets combinés entre le climat et la pollution plastique est celui impactant le phytoplancton qui constitue, avec les forêts, le « poumon de la planète. Au cours des temps géologiques, il a en effet produit une part importante de l’oxygène que nous respirons aujourd'hui. Quelques études récentes2 alertent sur le fait que les microplastiques affectent non seulement le métabolisme et la reproduction du phytoplancton mais aussi sa capacité de photosynthèse, empêchant ainsi la fixation du carbone. Le phytoplancton contribue en effet à faire de l’océan une « pompe biologique ».: en surface, il absorbe naturellement du CO2 atmosphérique pour faire sa photosynthèse et fabriquer de la matière organique constituée de carbone. Ce carbone stocké dans leur squelette se dépose à leur mort au fond de l’océan. Avec les quantités croissantes de microplastiques présentes dans l’océan, le phytoplancton perd lentement ses « superpouvoirs » de nettoyage de l’atmosphère et de stockage de carbone.

D’autres expérimentations réalisées en laboratoire montrent également qu’une augmentation de la température de l’eau peut modifier la toxicité des microplastiques et des additifs chimiques associés. L’accélération de la fragmentation des macroplastiques en micro- et nanoplastiques due aux changements de température et de pH de l'eau pourrait aussi favoriser la dispersion  d’espèces envahissantes, comme les agents pathogènes qui se fixent sur ces débris.

Les études des effets combinés de plusieurs facteurs environnementaux sur la biodiversité marine restent rares mais nécessaires pour accroitre la pertinence écologique de nos travaux et prédire les réponses des organismes marins aux changements globaux. A l’Ifremer, des scientifiques testent actuellement en laboratoire les effets sur de petits poissons (les épinoches) de l’acidification et d’une hormone de synthèse contenue dans les pilules contraceptives que l’on retrouve en quantités non négligeables dans l’océan. Une autre étude en cours à l’Ifremer traite des effets combinés de l’acidification et des résidus de carbamazépine, un antiépileptique présent dans les eaux côtières, sur le développement des larves d’huître creuse.

 

Comment réussir à mieux comprendre les impacts de ces pressions multiples sur l’océan ?

Les scientifiques spécialisés en environnement et en écotoxicologie travaillent conjointement pour évaluer les effets combinés de ces pressions grâce à des expérimentations toujours plus réalistes. C’est ce que nous faisons avec des collègues de l’Université de Bretagne occidentale et du CNRS dans le cadre du projet MicroCO2sme qui a démarré en janvier 2023 à Océanopolis. Nous étudions pour la première fois les effets couplés de la hausse de température, de l’acidification et de la pollution plastique sur une espèce native des côtes européennes et actuellement en déclin majeur : l’huître plate. Nous avons recréé, dans des aquariums dont nous maîtrisons les paramètres physico-chimiques, les conditions naturelles de vie de l’huître plate avec les organismes benthiques qui cohabitent avec elle (des vers, des ascidies, des éponges, etc.) ainsi que toute une diversité de micro- et macro-algues. Dans ces enceintes confinées que nous appelons des « mésocosmes », nous étudions la santé, la reproduction et la croissance des huîtres plates mais aussi l’abondance et la richesse de la biodiversité associée dans 4 scénarios différents : 1/ dans les conditions actuelles de température et de pH de la rade de Brest, 2/ dans les conditions prévues de pollution microplastique de la rade à l’horizon 2100, soit 50 fois plus polluée, 3/ dans des conditions prévues par le GIEC en 2100 (+2°C et -0.3 unité pH) et enfin 4/ selon un scénario cumulant l’ensemble de ces facteurs, représentant le scénario « catastrophe », le plus probable en fin de compte (+2°C, -0.3 unité pH et 50 fois plus de microplastiques). Cette expérimentation durera un an et les résultats sont attendus à la fin de l’année 2023.

 

 

 

Notes