La crevette en Nouvelle-Calédonie, le développement d’une filière aquacole locale

L’essor de la crevetticulture en Nouvelle-Calédonie a commencé en 1973 avec la volonté de développer l’économie du territoire. L’Ifremer, soutenu par les institutions locales, a accompagné la mise en place d’une filière crevetticole à l’aide d’études et d'expérimentations. Au début avec de petites fermes tests, pour aboutir à une véritable filière aquacole dotée de toutes mes installations nécessaires à l’industrie de la crevette (fermes, écloseries, alimentation, conditionnement et exportation) sur le territoire calédonien. Le développement de la crevetticulture est aujourd’hui une source d’inspiration pour de nouvelles filières aquacoles.

La crevette, un atout économique pour la Nouvelle-Calédonie

D’un point de vue économique, la Nouvelle-Calédonie étant plutôt tournée vers la terre (agriculture et mines), le développement d’une filière autour de la crevette a créé une nouvelle source d’emploi saisonnier. La répartition de la filière sur toute la côte Ouest a généré de l’activité économique en dehors de l’agglomération de Nouméa, poumon économique regroupant près de la moitié de la population de l’île. Ces exploitations n’ont pas besoin de main d’œuvre spécialisée : c'est un complément de revenus, notamment pour les femmes des tribus mélanésiennes vivants à proximité des fermes.

Un territoire où la crevette se sent bien

La géographie de la Nouvelle-Calédonie a été une réelle valeur ajoutée pour l’installation de fermes aquacoles de crevettes. De nombreux espaces, situés en bord de mer entre la bande de mangroves et les terres cultivables, étaient inutilisés. Seules les plantes supportant les sols très salés peuvent y vivre (salicorne…). Ces espaces avaient un grand potentiel pour installer des fermes de crevette car elles nécessitent « seulement » d’ajouter quelques digues pour délimiter les bassins et l’installation d’les équipements (station de pompage pour remplir les bassins d’eau de mer, planches contrôlant l’entrée et la sortie de l’eau…).

La naissance d’une filière crevetticole

Le développement de la crevetticulture en Nouvelle-Calédonie s’est fait en plusieurs étapes. L’Ifremer a commencé par mener des expérimentations afin de déterminer quelle espèce de crevette était la plus appropriée, à la fois du point de vue environnemental et économique. Au fil des années, une filière s’est constituée : en 1988 deux fermes commerciales étaient actives, la production locale d’aliments s’est mise en place, une écloserie industrielle et une usine de conditionnement ont vu le jour. L’Ifremer a acquis de nombreuses connaissances scientifiques, sur la crevette (organisme, nutrition, croissance…) et son environnement, grâce à ces expérimentations et aux recherches réalisées au cours de cette phase initiale. Aujourd’hui la filière calédonienne a bien prospéré et compte en 2023, 18 fermes, 4 écloseries, 2 producteurs d’aliments et un atelier de conditionnement en charge de la commercialisation à l’export. Elle s’est structurée avec un groupement de fermes aquacoles (GFA) et un Centre Technique Aquacole (CTA) sous l’égide de l’ADECAL Technopole. En plus de cette mise en place technique, l’Ifremer accompagne les professionnels de la filière.

L’espèce de crevettes retenue est Litopenaeus stylirostris, importée d’Amérique Centrale. Elle a un avantage commercial : cette espèce est reconnue au niveau mondial comme un produit d’exception. Le procédé de production non intensif est en adéquation avec cette volonté de produit haut de gamme. Cela se traduit par une densité de crevettes raisonnée, 20 crevettes par mètre carré dans des bassins allant de 2 à 12 hectares et de 1 à 2 mètres de profondeur, et la limitation d’intrants (antibiotiques, compléments chimiques…). En comparaison, dans les fermes intensives, cela peut monter à une centaine de crevettes au mètre carré avec beaucoup d’intrants et de l’aération artificielle. Par exemple, une ferme intensive fait la surface de toutes les fermes calédoniennes réunies. Des recherches sont en cours à la station Ifremer en Nouvelle-Calédonie afin d’améliorer la qualité de production. 

L’Ifremer, soutien technique et expertise scientifique

Depuis 1993, les fermes sont confrontées à des épisodes de mortalités récurrents et assez intenses. L’Ifremer a alors concentré ses recherches sur les causes de ces mortalités impactant considérablement la production. Deux agents pathogènes ont été identifiés par les chercheurs de l’institut : Vibrio penaeicida, bactérie responsable du « syndrome d’hiver », détectée à partir de 1993 et Vibrio nigripulchritudo, bactérie responsable du « syndrome d’été », détectée à partir de 1997.

La santé des crevettes, difficile à suivre au quotidien

Une des particularités de la production de crevettes est qu’il est compliqué de vérifier tous les jours l’état des animaux. Contrairement aux bassins piscicoles classiques, les bassins qui hébergent les crevettes sont comme des boites noires, parfaitement opaques. Le suivi de la production ne peut donc être assuré que via des coups de filets réguliers. Toutefois, pour connaître l’état réel de la production, il faut attendre la « dernière pêche » c’est à dire la récolte de l’ensemble des crustacés après la vidange totale des bassins. Ainsi, ce n’est que lors de la dernière pêche, quand les bassins sont vidés, qu’il est possible de connaître l’état de la production.

Les scientifiques de l’Ifremer ont pu déterminer les différents facteurs d’apparition de ces syndromes  (variations de température, chute du phytoplancton, baisse d’oxygène dans le bassin…) et comment les bactéries responsables agissaient sur les crevettes (identification de la toxine et des gènes sources de leur virulence, mécanisme d’entrée des bactéries dans l’animal …).

Pour lutter contre ces bactéries, chez les crevettes, aussi, les antibiotiques ne sont pas automatiques ! La volonté est de supprimer intégralement l'usage des antibiotiques pour plusieurs raisons : la résistance aux antibiotiques, les risques forts de recontamination et les risques environnementaux. 

L’Ifremer et ses partenaires cherchent donc des alternatives aux antibiotiques et d’autres pistes pour limiter ces épisodes de mortalité et développer les productions.

Ainsi, à partir des années 2000, l’Ifremer a mis en place des projets intégrés concernant l’environnement, la nutrition, le cycle de croissance de la crevette, les agents pathogènes présents, etc. 

Les recherches de l’Ifremer concernent de nombreux sujets :

  • La nutrition, élément capital en aquaculture. Actuellement, l’alimentation des crevettes est très dépendante des imports. De nouveaux ingrédients potentiels (microalgues, insectes) sont envisagés pour remplacer une part des ingrédients et améliorer la qualité et la performance des aliments.
  • Les probiotiques, alternative aux antibiotiques, créés à partir de souches bactériennes calédoniennes.
  • Le patrimoine génétique des crevettes, pour limiter la consanguinité (les crevettes élevées depuis 1973 descendent toutes des mêmes géniteurs initiaux) et pour augmenter la résistance à certaines maladies ou au changement global. Les chercheurs souhaitent pouvoir évaluer la qualité de la production future, avant même l'introduction des larves en bassins.
  • Les bassins. avec l’objectif d’optimiser leur utilisation. Ils sont actuellement laissés vides après la dernière pêche mais l’intérêt de cette pratique est questionné. Des alternatives sont possibles telles que laisser le bassin rempli d’eau en « jachère », ou encore d’alterner l’élevage avec des cultures de plantes halophytes ayant un intérêt pour la nutrition animale et humaine…
  • Une alternative au procédé actuel de déclenchement de la maturation, dont le but est de synchroniser la ponte des œufs.

Le producteur n’élève pas que des crevettes mais tout un écosystème (phytoplancton, zooplancton, et autres espèces introduites par pompage dans le bassin). C’est cet équilibre qu’il faut réussir à maintenir.

Benoit Soulard
Ifremer | Délégué Ifremer en Nouvelle-Calédonie, chef de station

La crevette, source d'inspiration pour la création de nouvelles filières en Nouvelle-Calédonie

Depuis 2010, fort de l’expérience avec la filière de production de crevettes, l’Ifremer donne aux décideurs et industriels locaux les clés pour développer de nouvelles filières. L’Ifremer maintient une position de recherche, d’innovation et d’expertise scientifique. L’ADECAL Technopole joue un rôle de soutien des producteurs et des filières en place et futures.

Grâce à l’expertise de l’Ifremer et aux installations uniques présentes en Nouvelle-Calédonie, des industriels se sont intéressés à de nouvelles filières aquacole et agricole. Par exemple, pour diversifier ou remplacer la farine de poisson actuellement utilisée dans les aliments, des solutions à base de farine d’insecte ou de microalgues sont en développement. Grâce à ces solutions, la volonté est de tendre vers une filière crevetticole en circuit court. Ces aliments initialement destinés aux crevettes pourraient aussi concerner d’autres débouchés. Certaines microalgues présentes localement en Nouvelle-Calédonie ont des propriétés antioxydantes intéressantes aussi pour la cosmétique ou l’agroalimentaire. De la même manière, la farine d’insecte peut aussi être utilisée pour l’alimentation animale et d’autres exploitations aquacoles. 

D’autres filières sont également en projet comme une filière ostréicole pour l’alimentation humaine afin de diversifier les productions et de valoriser les espèces présentes localement.

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